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DE MAL EN PIS.

lisarda.

Il est bien impossible que nous le sachions, étant venues recouvertes de nos mantes dans une chaise à porteurs dont les rideaux étaient tirés, et de laquelle nous ne sommes descendues qu’à l’entrée de cette pièce.

camacho.

Mes ordres sont d’aller fermer la porte du dehors dès que vous serez arrivées. Demeurez ici. Cette chambre hospitalière est celle d’un jeune homme qui a du goût, et vous pouvez vous amuser à la regarder. Adieu, mesdames.

Il sort.
flerida, à part.

Je n’ai pas dit un mot afin de n’être pas reconnue par Camacho. Maintenant je ne doute plus que don César soit ici, puisque ses valets y sont. — Mais pourquoi Lisarda va-t-elle ainsi recouverte de sa mante ? Pourquoi, lui, se conduit-il à mon égard avec tant de mystère ?… Qu’est-ce que cela signifie ?… Dieu veuille que cela finisse bien !

lisarda.

Respirons un peu ici, Laura. Personne ne nous voit. (Elle relève sa mante, reconnaît la chambre et se trouble.) Que le ciel me protège !

flerida.

D’où vient votre surprise, madame ?

lisarda.

Je n’en sais rien, Laura. — Je me meurs !

flerida.

Qu’avez-vous ?

lisarda.

Ce que j’ai !… j’ai que je suis dans ma maison, quand j’espérais me cacher pour une entrevue que je dois avoir, vous présente, avec un homme. Cette chambre que vous voyez est celle de don Juan. Vous qui êtes depuis peu à la maison, vous n’y êtes jamais entrée et ne pouvez la connaître ; mais, moi, je la reconnais bien… L’appartement a une porte qui donne sur une autre rue… Comme je suis venue sans regarder où j’allais et que la chaise nous a montées jusqu’ici, j’ai été prise au piège… Hélas ! hélas ! je suis perdue ! Et je ne puis me plaindre de personne ! je suis perdue, et par ma faute !… Laissez-moi bien m’assurer que ce n’est pas une vaine illusion, que c’est la vérité… Mais non, je ne me trompais pas… le mal qui nous arrive n’est jamais que trop réel !… ces sièges, ces tableaux, ce secrétaire, ce miroir, ces tentures, ce sont bien les nôtres ! c’est bien dans ma maison que je suis !… Ô ciel ! ô Dieu ! — Mais pour cela je ne me rendrai pas lâchement à la fortune… S’il y a remède à tout, il y en a un sans doute à cela.. Une porte de cette chambre donne dans mon appartement. S’il y avait là quelqu’un