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JOURNÉE II, SCÈNE V.

nice.

Il le faut bien. Ma maîtresse Lisarda est un démon… Elle serait femme à se porter à mille extrémités si elle apprenait ce qui se passa chez elle.

Elle s’éloigne.
don césar.

Ô madame ! combien mon âme soupirait après l’occasion de vous parler. Je vis dans un labyrinthe d’incertitudes où mon esprit sans cesse s’égare… J’ai beau m’ingénier, il m’est impossible de trouver et même d’entrevoir le motif de ma prison.

lisarda.

Cependant vous devriez comprendre aisément que l’on cherchait une femme que vous avez enlevée, et qu’on m’a arrêtée à sa place.

don césar.

une femme, dites-vous ?

lisarda.

Oui.

don césar.

Moi, j’ai enlevé une femme ?

lisarda.

Oui.

don césar.

J’avais avec moi une femme ?

lisarda.

Oui.

don césar.

Quelque esprit que vous ayez, madame, c’est une mauvaise défaite que vous avez imaginée là pour dissiper mes doutes… Quoi donc ! serais-je un homme assez vil ou assez peu digne d’amour pour ne devoir pas inspirer de jalousie ?… et si j’avais eu avec moi une femme que j’aurais enlevée, comme vous dites, aurait-elle donc souffert si aisément que je pusse vous parler et vous voir ?… Vous, madame, au contraire, pleine de trouble, vous m’avez donné à entendre qu’il importait que vous ne fussiez pas reconnue, et aussitôt après, vous avez montré une terreur comme je n’en ai jamais vu. Donc vous aviez sujet de vous tenir sur vos gardes ; donc l’on ne vous a pas arrêtée pour une autre ; donc si l’on vous retient encore prisonnière aujourd’hui que l’on doit être désabusé, je suis fondé à croire que c’est probablement quelque cavalier jaloux qui aura voulu par là se venger.

lisarda.

Quoi donc ! vous dirai-je à mon tour, aurais-je eu, moi, un galant si méprisable et si vil qu’il eût été capable de venger aussi bassement son injure ?… Je ne suis pas, moi non plus, une femme si peu digne d’amour que je ne puisse inspirer de la jalousie ? Croyez-les