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JOURNÉE II, SCÈNE I.

lisarda.

Que veux-tu que je te conte, Nice ? Je suis malheureuse ; c’est te dire assez que l’amour et la fortune conspirent contre moi. Mon père ce matin m’a donné à entendre à mots couverts et d’un air affligé qu’il était instruit de ma folle passion. Je n’ai pas voulu le croire. Ce soir je suis sortie ; il m’a suivie, m’a trouvée, et…

celia.

Laissez donc, madame. Comment pouvez-vous imaginer que votre père, pouvant vous retenir sous un prétexte ou sous un autre à la maison, eût préféré se mettre à votre recherche avec une troupe d’alguazils, vous surprendre ainsi en faute devant tant de monde, et rendre lui-même son injure publique ?… Non, madame, cela n’est pas possible. Ma seule crainte a été qu’on vous reconnût là-bas ou avant que vous ne fussiez de retour à la maison. À cette heure que nous y sommes je ne crains plus rien… J’ai peur seulement qu’il ne s’informe de la prisonnière qu’il a envoyée ; car je ne doute pas que, quand il vous a arrêtée, il ne vous ait prise pour une autre.

lisarda.

Tu es sotte, Celia ; tu ne réfléchis donc pas qu’il a dit : « Je tiens à la réputation et à l’honneur de cette dame autant que si j’étais son père. C’est en sa considération que je vous ménage. » Il m’a donc reconnue ; car ce ne sont pas là des paroles jetées au hasard. Tu réponds qu’il n’aurait pas voulu que l’on me vît. Fort bien ; aussi a-t-il commandé qu’on me laissât me couvrir de ma mante. Ne me contredis pas ; je suis sûre qu’il m’a reconnue.

celia.

Et que comptez-vous faire ?

lisarda.

Me jeter à ses pieds dès qu’il arrivera, et lui avouer… lui dire que mon ennui a été cause que je suis allée me promener dans ce jardin. — Après tout, un père ne tue pas.

celia.

Non, madame ; mais quelquefois…


Entre FLERIDA.
flerida.

Soyez la bienvenue, madame.

lisarda.

Je viens de visiter une de mes amies. (Bas à Celia et à Nice.) Taisons-nous ; nous ne sommes pas encore assez sûres de sa discrétion ou de son habileté.