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JOURNÉE I, SCÈNE II.

camacho.

J’ai ce défaut de me cacher, monseigneur ; je le fais sans mauvaise intention.

le gouverneur.

Que tenez-vous là ?

camacho.

Monseigneur, des pantoufles.

le gouverneur.

Je vois de clairs indices de ce que je cherche. — Où est la personne à qui appartiennent ces pantoufles ?

camacho.

Devant vous. C’est moi.

le gouverneur.

Pourquoi les apportez-vous ici ?

camacho.

Parce que, monseigneur, si les boucliers de liége sont prohibés par les justes lois du royaume, il n’en est pas de même des pantoufles de liége : au contraire. Le proverbe espagnol, un très-beau proverbe, dit : Malheureux le malade qui se trouve en un endroit où il n’a pas de pantoufles ! Or, mon maître étant indisposé, je lui apporte ces pantoufles pour remède, afin qu’il ne soit pas malheureux.

le gouverneur.

Mauvais plaisant !

don césar.

Tais-toi, imbécile !


DEUX ALGUAZILS amènent LISARDA ; elle a le visage couvert de sa mante.
un alguazil.

Nous avons trouvé cette dame dans la chambre du fond. Elle ne veut pas se découvrir le visage. Découvrez-vous, madame.

le gouverneur, à l’alguazil.

Demeurez tranquille. — (À Lisarda.) Non, madame, ne vous découvrez pas. Je sais que je vous dois toute cette politesse. Excusez-moi si je viens pour vous.

don césar.

Excusez pareillement si elle ne va pas avec vous. Je suis décidé à mourir plutôt que de souffrir qu’on l’outrage.

le gouverneur.

Seigneur don César des Ursins, ne parlez pas avec tant d’arrogance ; car, malgré votre courage, il ne vous serait pas aussi facile de la délivrer que de le dire. Je vous pardonne ce mouvement en faveur des sentimens qui m’animent pour cette dame. Je sais qui elle est, et je prétends tenir autant que vous, peut-être, à sa réputation, à son honneur. Son père est tellement mon ami qu’il est