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JOURNÉE I, SCÈNE II.

don césar.

Je ne vous comprends pas bien, madame.

lisarda.

Voulez-vous que je m’explique ?

don césar.

Oui, de grâce.

lisarda.

Voici comme : — Un flambeau brille allumé ; si l’on en approche un autre flambeau, il lui communique soudain sa flamme et ne laisse pas cependant de brûler. L’amour est un feu qui brûle dans l’âme ; s’il se communique aux yeux, il ne cessera pas d’être un feu et aussi vif qu’auparavant. Les mêmes yeux qui étaient naguère tristes, voilés et sombres, s’illuminent d’un subit éclat ; mais le feu a passé dans l’organe de la vue sans cesser d’être dans l’âme.

camacho, à Celia.

Et vous, adorable suivante, comptez-vous prendre ici le style de votre maîtresse ? Dites-moi, ne voulez-vous pas me laisser voir votre visage ?

celia.

Non.

camacho.

Et si je ne me laissais pas voir, moi non plus ?

celia.

Ce ne serait pas grand dommage.

camacho.

C’est que j’ai beaucoup d’honneur, moi aussi.

celia.

Vous avez raison.

camacho, se couvrant le visage de son mouchoir.

Eh bien ! corps de Dieu ! c’est à présent une double mascarade !… Et que le diable vous emporte, amen, si jamais vous vous découvrez !… Et qu’il vous emmène en vous traînant par votre mante dans quelque coin diabolique !… Et puisse votre mante s’allonger de manière que vous soyez courtisée seulement par le géant Garamante !… Et ensuite en enfer puissiez-vous être parée d’une mante de soufre par les furies de Rhadamante !…

don césar, à Lisarda.

Je suis convaincu, madame, par ce que vous m’avez dit ; j’ai eu tort, mille fois tort, de soutenir contre vous une pareille thèse ; mais puisqu’il n’y a pas d’amour véritable sans voir, il n’y aura pas d’impolitesse à moi à ce que j’écarte un peu votre mante.

lisarda.

Songez à ce que vous allez faire.

don césar.

Vous me le pardonnerez ; il faut que je vous voie.