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JOURNÉE III, SCÈNE III.

le roi.

Que s’est-il donc passé ?

don lope.

Un alcade a fait arrêter un capitaine, et bien que je sois venu le réclamer, on n’a pas voulu le rendre.

le roi.

Quel est cet alcade ?

crespo.

Sire, c’est moi.

le roi.

Et que dites-vous pour votre défense ?

crespo.

C’est que par la procédure est prouvé jusqu’à l’évidence un crime digne de mort. Il s’agit d’une fille enlevée, violée dans un bois, et que le ravisseur n’a pas voulu épouser, malgré les offres et les supplications du père.

don lope.

Sire, cet homme qui est l’alcade est aussi le père de la fille.

crespo.

Cela ne fait rien à l’affaire. Si un étranger venait me demander justice, ne devrais-je pas la lui rendre ? Oui, sans doute. Eh bien ! qu’y a-t-il d’étonnant que je fasse pour ma fille ce que je ferais pour tout autre ?… Sans compter qu’ayant arrêté mon propre fils, j’avais le droit d’être juste envers sa sœur. Qu’on voie si la cause a été bien instruite, qu’on recherche si j’y ai mis de la passion, si j’ai suborné quelque témoin, s’il a été rien changé à leurs déclarations ; et après, qu’on me donne la mort.

le roi, après avoir examiné la procédure.

C’est bien jugé. Mais vous n’avez pas autorité pour faire exécuter la sentence ; ce droit appartient à un autre tribunal. Rendez donc le prisonnier.

crespo.

Sire, cela me serait difficile. Comme il n’y a ici qu’une seule audience, c’est elle qui exécute tous les jugemens, et le dernier est exécuté.

le roi.

Que dites-vous ?

crespo.

Si vous en doutez, sire, regardez et voyez. — Cet homme c’est le capitaine.

La porte de la prison s’ouvre, et l’on voit le capitaine assis et dans l’attitude d’un homme qui vient de subir le supplice du garrot[1].
  1. Dans le supplice du garrot (en esp. garrote), le patient était assis sur un tabouret, le dos appuyé à une poutre dressée verticalement, et le bourreau l’étranglait, par le moyen d’un tourniquet attaché à cette poutre. Ce tourniquet était un bâton court appelé garrote, et c’est de là qu’est venu le nom du supplice ; comme de notre mot français garrot est venue l’expression garrotter.