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JOURNÉE II, SCÈNE IV.

de la plus basse classe : toutes sont dignes de nos égards ; c’est d’elles que nous sommes nés… Ne te bats point pour des bagatelles. Toutes les fois que je vois dans les villes des gens qui enseignent à tirer des armes, je me dis à part moi : « Ce n’est point là l’école que je voudrais ; ce n’est pas à se battre avec adresse, avec habileté, avec élégance, que les hommes devraient apprendre, mais à connaître les justes motifs pour lesquels ils doivent se battre ; et s’il y avait un maître qui donnât des leçons de ce genre, tous les pères de famille, j’en suis sûr, lui confieraient leurs enfans. » Avec ces conseils, et l’argent que je t’ai donné pour ton voyage et pour te faire habiller en arrivant, avec la protection du seigneur don Lope, et enfin avec ma bénédiction, j’espère, mon fils, Dieu aidant, que je te verrai un jour dans une meilleure position. Adieu, mon enfant, adieu ; car je sens que je m’attendris en te parlant.

juan.

Mon père, vos paroles resteront à jamais gravées dans mon cœur, et de ma vie elles n’en sortiront. Permettez que je baise votre main. Et toi, ma sœur, embrasse-moi. J’entends partir la litière du seigneur don Lope, et je cours le rejoindre.

isabelle.

Je voudrais te retenir dans mes bras.

juan.

Cousine, adieu.

inès.

Je n’ai pas la force de te rien dire. Mes larmes te parlent pour moi. Adieu.

crespo.

Allons, pars vite. Plus je te vois, plus je suis fâché que tu nous quittes. Et si je n’avais pas donné ma parole…

juan.

Que le ciel demeure avec vous tous !

crespo.

Et qu’il soit avec toi, mon enfant !

Juan sort.
isabelle.

Que vous avez été cruel, mon père !

crespo.

À présent qu’il n’est plus là, devant mes yeux, je me sens moins affligé… Après tout, que serait-il devenu en restant avec moi ? Ne serait-il pas devenu peut-être un fainéant, un mauvais sujet ? Il vaut bien mieux qu’il aille servir le roi.

isabelle.

Je regrette qu’il parte ainsi de nuit.

crespo.

Voyager de nuit, pendant l’été, ce n’est pas fatigue, mais plaisir ; et il importe qu’il rejoigne don Lope au plus tôt. (À part.) J’ai beau vouloir faire le brave, cet enfant m’a tout attendri.