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NOTICE SUR CALDERON.

rappellent la fatalité des anciens et la prédestination des musulmans. Les idées que ces mots représentent ne sont pas, en Espagne, particulières à Calderon ; et souvent ses compatriotes, soit comme individus, soit comme nation, ont tenu une conduite qui semblait indiquer la croyance à ces idées. Mais de tous les dramatistes espagnols Calderon est celui qui les a reproduites le plus fréquemment, comme il est celui qui a montré le plus souvent dans ses ouvrages l’action et la puissance de la destinée ; et ce détail nous a paru assez important pour que nous ayons dû le signaler à nos lecteurs.

Quant à la versification, Calderon n’est pas toujours exempt d’une certaine manière, et il n’a pas la variété de Lope, qui employait tour à tour, avec la même aisance, tous les rhythmes et tous les mètres. Mais il est supérieur à Lope et à tous les poètes espagnols dans le vers octosyllabique, nommé vers de romance, ou redondilla, qu’il emploie avec un art vraiment magique. Rapides, impétueux, ces vers se précipitent comme un torrent sonore, et l’on se sent entraîné malgré soi par l’harmonie ravissante de cette musique divine dont Lope lui-même était enchanté (20).


Voyant l’admirable finesse avec laquelle Calderon a peint quelquefois les ridicules des hommes, un littérateur fort distingué, M. Martinez de la Rosa, a exprimé le regret que notre poète n’ait pas donné un but moral à ses comédies (21). Je ne saurais partager ce regret. À chaque peuple son théâtre, à chaque poète son génie. À l’Espagne, à Calderon les grandes aventures, les grands sentimens, la galanterie passionnée. Pour la peinture des vices et des travers sociaux, pour les châtier ou s’en moquer, le pays, le poète — c’étaient la France et Molière.

D’autres écrivains sont allés plus loin. Préoccupés de ces aventures d’amour sur lesquelles Calderon a fondé sa Comédie, ils l’ont accusé de corrompre les mœurs. La critique qui apprécie de la sorte des jeux d’imagination et méconnaît à ce point les privilèges de l’art ne mérite pas une réfutation sérieuse. Calderon, qui semble l’avoir pressentie, l’a réfutée d’avance de la seule manière convenable, par l’intermédiaire d’un de ses personnages qui vient d’être la dupe d’une femme voilée : « Maudites soient, s’écrie-t-il avec malice, — maudi-