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JOURNÉE II, SCÈNE II.

sens de celui qui me parle. Hier vous me parliez vous-même comme vous dites ; la réponse devait être à l’unisson de la demande. J’ai pour politique de jurer avec celui qui jure, de prier avec celui qui prie ; je m’accommode à tout. Et c’est au point que je n’ai pu fermer l’œil de toute la nuit, parce que je pensais à votre jambe ; et même ce matin je me suis trouvé avec des douleurs aux deux jambes ; car, comme j’étais embarrassé de savoir de laquelle vous souffriez, si de la droite, si de la gauche, pour ne pas commettre d’erreur j’ai eu mal à toutes deux. Veuillez donc me dire, seigneur, je vous prie, de quelle jambe vous souffrez, afin qu’à l’avenir je n’en sente plus qu’une seule.

don lope.

N’ai-je pas bien le droit de me plaindre, si depuis trente ans que j’ai fait en Flandre ma première campagne, constamment exposé aux frimas de l’hiver et à l’ardeur de l’été, je n’ai jamais eu de repos et n’ai jamais passé un moment sans souffrir ?

crespo.

Le ciel vous donne de la patience, seigneur !

don lope.

Ce n’est pas là ce que je demande.

crespo.

Eh bien ! qu’il ne vous en donne pas.

don lope.

Je m’en moque ! Tout ce que je souhaite, c’est que mille démons emportent la patience et moi avec.

crespo.

Amen ! et s’ils n’accomplissent pas ce souhait, c’est qu’ils ne font jamais rien de bon.

don lope.

Jésus ! Jésus !

crespo.

Qu’il soit avec vous et avec moi !

don lope.

Vive le Christ ! je n’y tiens plus.

crespo.

Vive le Christ ! j’en suis fâché.


Entre JUAN, il apporte une table.
juan.

Seigneur, voici la table.

don lope.

Pourquoi mes gens ne viennent-ils pas me servir ?

crespo.

C’est moi, seigneur, qui, sans votre permission, leur ai dit de ne pas venir, et de ne faire dans ma maison aucune disposition pour votre service. Car j’espère, grâces à Dieu, que vous n’y manquerez de rien.