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NOTICE SUR CALDERON.

saire en Espagne au temps de Lope et de Calderon : car là le peuple malgré les échecs qu’il éprouva sur la fin (échecs qui n’étaient à ses yeux que des accidens passagers, et ne l’inquiétaient pas plus que des accidens de santé n’inquiètent un homme robuste), le peuple, dis-je, était plein du sentiment de son importance, de sa grandeur, de sa gloire ; il croyait à sa destinée, à son avenir, comme il croyait à Dieu, avec une foi entière ; rien dans le passé, rien dans le présent ne lui semblait comparable à lui-même ; et il n’eût jamais toléré sur la scène des idées, des sentimens, des mœurs, un costume qui n’eussent pas été espagnols. Force était donc aux dramatistes de ce pays, lorsqu’ils traitaient un sujet étranger, de sacrifier la vérité historique, et, pourquoi ne l’avouerais-je pas ? aussi nationaux que leurs spectateurs, ils la sacrifiaient résolument.

Heureux, trois fois heureux, les tragiques grecs ! Ils n’étaient point préoccupés par les souvenirs d’un long passé. Pour eux, tout le passé du monde c’était le passé de la Grèce ; tous les héros, c’étaient leurs aïeux ; toutes les traditions, c’était Homère. Ils n’avaient qu’à puiser à ces pures sources, et là ils trouvaient tout ensemble et l’idéal de la poésie et la vérité de l’histoire !


Considéré du point de vue du style et de la forme, Calderon possède toutes les qualités d’un habile écrivain, et, en outre, une rare élévation et une exquise finesse. Mais il a aussi des défauts que nous ne devons pas dissimuler : du bel esprit, une imagination excessive, et enfin de la déclamation. Ces défauts étonnent d’autant plus chez notre poète, que naturellement il avait le goût très-sain. Essayons de les expliquer.

Pour la recherche de l’esprit ce fut, de la part de Calderon, une concession à la mode générale. Il suivit en cela l’exemple de Lope, qui, après avoir combattu le mauvais goût avec une verve de moquerie sans égale, finit par y sacrifier (18).

Pour les comparaisons et les métaphores redoublées de Calderon, dans lesquelles il rappelle un peu trop souvent le soleil et les étoiles, elles tiendraient davantage aux nécessités de sa comédie. D’ordinaire elles sont placées dans la bouche des galans qui font la cour à des dames voilées, inconnues.