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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

(EL ALCALDE DE ZALAMEA.)



NOTICE.


Dans l’allocution obligée qu’il adresse au public à la fin de l’Alcade de Zalaméa, Calderon nous assure que sa comédie est une histoire véritable. Bien que nous ne connaissions pas la tradition dont il s’est inspiré, nous n’avons pas de peine à le croire. Et ce n’est pas seulement parce que nous ajoutons une foi entière à la simple assertion du poète ; c’est que l’événement qui fait le sujet de cette pièce a dû en effet se produire à une époque où de longues guerres avaient développé sans mesure l’usage de la force brutale chez une soldatesque effrénée ; c’est qu’il y a dans tout cet ouvrage je ne sais quel air de vérité, qu’on retrouve difficilement dans des drames de pure imagination et qui ne sont point fondés sur une donnée historique.

Si l’on me demandait d’indiquer la qualité particulière qui distingue chacune des pièces de Calderon, je dirais de l’Alcade de Zalaméa que c’est la peinture des caractères. À cet égard, de toutes ses comédies celle-ci est à mon sens la plus parfaite. D’abord, pour ce qui est des personnages qui lui étaient fournis par l’histoire, ils revivent dans son drame. C’est bien là, quoiqu’un peu idéalisé, Philippe II, sombre, sévère, taciturne, habitué à voir tout plier sous sa volonté de fer, et inspirant autour de lui un respect mêlé de terreur. C’est bien là aussi don Lope de Figueroa, le vieux soldat d’Italie et de Flandre, le digne chef de ce Terce fameux qui, selon l’expression d’un historien, faisait trembler la terre sous ses mousquets ; rigide observateur de la discipline, mais cachant sous une brusquerie exagérée une bonté réelle. Quant aux personnages qui étaient davantage à la disposition du poète, ils sont également bien peints. Le vieux Pedro Crespo, le héros de la pièce, est l’admirable type du paysan espagnol, plein de sentimens élevés, de loyauté, de franchise ; d’un courage et d’une fermeté indomptables ; d’une imagination poétique et facile, et, en même temps, observateur sagace et doué d’un sens pratique excellent. Le rôle de Juan, son fils, et celui de sa fille Isabelle ne sont pas moins bien tracés. Et le capitaine don Alvar avec son orgueil et sa violence ! Et Rebolledo le soldat fanfaron, mutin et sans mœurs ! Et l’Étincelle, la joyeuse vivandière ! Et Mendo le gentillâtre vaniteux ! Tout cela c’est la nature même. Aussi, combien l’on regrette, en lisant cette pièce, que Calderon n’ait pas exercé plus volontiers son talent caractéristique ! Quel poète lui eût été supérieur ? Quel poète même, peut-être, l’eût égalé ?