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NOTICE SUR CALDERON.

Le premier, c’est celui de la femme muy muger, comme dirent les Espagnols (16), qui revient à peu près et ressemble un peu à ce que nous appelons aujourd’hui une Lionne. La femme muy muger est une femme passionnée qui, pour arriver à son but, brave tous les obstacles. Ce type, qui, je crois, a servi de modèle à Corneille pour ses adorables furies, me semble bien espagnol et du xvie siècle.

Un autre type de Calderon, fort curieux, c’est le héros de quelques-unes de ses comédies sérieuses fondées sur le point d’honneur : noble et généreux, mais, au besoin, rusé, dissimulé, et qui, lorsque son honneur lui semble compromis, sacrifierait impitoyablement le monde entier et lui-même. Ce personnage appartient également à l’Espagne du xvie et du xviie siècle ; et, si je ne me trompe, il dénoterait l’influence du caractère personnel de Philippe II sur le caractère espagnol. Quand je lis À outrage secret, ou le Médecin de son honneur, et que je vois apparaître au moment solennel le sombre et farouche héros de Calderon, je me rappelle involontairement Philippe II à son lit de mort, disant aux médecins qui hésitent à le saigner : « Eh quoi ! craignez-vous donc d’ôter quelques gouttes de sang à un homme qui en a fait verser tant de flots aux hérétiques ! ».

Pourquoi donc Calderon, si habile à peindre des caractères, et qui devait avoir recueilli tant d’observations dans sa vie active et dans ses voyages, n’a-t-il pas caractérisé d’une manière plus individuelle les personnages de ses comédies d’intrigue ? La réponse est toute simple : c’est qu’il ne l’a pas voulu ; et, sans doute, il ne l’a pas voulu parce qu’il l’a jugé inutile. En effet, n’avons-nous pas dit que dans ces comédies de notre auteur c’est le hasard, le hasard seul, qui dirige tout à son gré, et que les acteurs n’ont par eux-mêmes aucune influence sur les événemens ? Dès lors, à quoi eût servi au poète de les mieux caractériser ? N’était-ce pas assez des premiers personnages et des premiers caractères venus pour servir de jouet aux caprices du hasard ?… Puis, le spectateur, lorsqu’il est entraîné par des aventures variées et imprévues, s’intéresse-t-il beaucoup aux peintures caractéristiques ?


De tous les sentimens, celui que notre poète exprime avec le plus d’éloquence c’est l’orgueil, surtout l’orgueil blessé et