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JOURNÉE I, SCÈNE II.

julia.

Hélas ! ma chère Arminde, toutes les lettres que j’avais d’Eusebio, mon frère Lisardo les a trouvées dans mon secrétaire.

arminde.

Il a donc su qu’elles y étaient ?

julia.

Ainsi l’a voulu ma mauvaise étoile. Le voyant tout soucieux, je pensai qu’il avait quelques soupçons, mais je ne le croyais pas si bien instruit. Il est venu à moi tout pâle, et, d’un air à demi fâché, il m’a dit qu’il avait joué, qu’il avait perdu, et que je lui prêtasse un de mes bijoux pour retourner au jeu. J’allais aussitôt lui donner ce qu’il me demandait ; mais, dans son impatience, il ne voulut pas attendre : il prit lui-même la clef, ouvrit avec une sorte d’inquiétude et de colère, et dans le premier tiroir trouva les lettres. Il me regarda, ferma ; et, sans me dire un mot, alla trouver mon père… Tous deux, hélas ! causèrent long-temps dans l’appartement de mon père ; puis ils sortirent, et, à ce que m’a rapporté Octavio, ils dirigèrent leurs pas vers le couvent. Tu vois maintenant que ce n’est pas sans motif que je m’afflige. Mais si l’on espère ainsi me faire oublier Eusebio, plutôt que d’entrer dans un monastère, je me donnerai moi-même la mort.


Entre EUSEBIO.
eusebio, à part.

Jamais on n’est venu avec autant d’audace, mais non plus avec autant de désespoir, chercher un refuge dans la maison de l’offensé. Avant que Julia n’apprenne la mort de Lisardo, je voudrais lui parler ; et j’obtiendrai quelque consolation dans mon malheur si avant qu’elle ne soit instruite, mon amour peut la déterminer à me suivre. Et quand elle apprendra la destinée de son frère, se voyant en mon pouvoir, il faudra bien que de gré ou de force elle se soumette à une nécessité inévitable. — (Haut.) Belle Julia ?

julia.

Qu’est-ce donc ? Vous ici !

eusebio.

C’est mon malheur et mon amour qui m’amènent, en me faisant braver tous les dangers.

julia.

Comment avez-vous pénétré dans cette maison et tenté une si folle entreprise ?

eusebio.

C’est que je ne crains pas de mourir.

julia.

Que prétendez-vous ainsi ?

eusebio.

Je veux, belle Julia, vous rendre un important service, afin que