Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome I.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
JOURNÉE III, SCÈNE VI.

Quelle singulière et atroce vengeance !… (Haut.) Dérobez-moi cette horreur : j’ai assez vu ce spectacle d’épouvante et de deuil ! Gutierre, vous devez avoir besoin de consolations dans une telle disgrâce. Je vous en trouverai une, la seule qui soit digne de vous. Donnez la main à Léonor. Il est temps que vous répariez vos torts envers elle, il est temps que je lui tienne ma parole : je lui ai promis d’accorder une juste réparation à son mérite et à sa renommée.

don gutierre.

Sire, puisque les cendres d’un si grand incendie sont encore toutes brûlantes, permettez que je pleure sur mon bonheur détruit. Ne dois-je pas profiter d’une pareille leçon ?

le roi.

Il faut que cela soit : point de réplique.

don gutierre.

Quoi ! sire, vous voulez qu’à peine échappé à ce naufrage j’affronte de nouveau la mer et ses tempêtes ! Quelle serait mon excuse ?

le roi.

L’ordre de votre roi.

don gutierre.

Sire, daignez écouter à l’écart mes raisons.

le roi.

Qu’avez-vous à me dire ?

don gutierre.

Si mon infortune est telle une autre fois que je trouve votre frère mystérieusement couvert de son manteau, la nuit, dans ma maison ?

le roi.

Eh bien ! vous repousserez des soupçons mal fondés.

don gutierre.

Et si je trouve encore dans ma chambre le poignard de don Henri ?

le roi.

Eh bien ! vous vous direz que l’on a mille fois suborné des servantes, et vous en appellerez à la force de votre âme.

don gutierre.

Et si je vois l’infant rôder nuit et jour autour de ma maison ?

le roi.

Eh bien ! vous vous plaindrez à moi.

don gutierre.

Et si, lorsque je viens pour me plaindre, obligé de me cacher, je l’entends qui me dévoile un plus grand malheur ?

le roi.

Qu’importe, s’il vous désabuse et si vous apprenez que la beauté de votre femme a été défendue constamment par sa vertu ?