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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

cela n’était pas possible, parce qu’à la même heure l’infant causait dehors avec toi. — oui, depuis lors je vis dans l’incertitude, la confusion et la crainte, en pensant qu’il pourrait bien se faire que j’eusse parlé a don Gutierre.

jacinthe.

En vérité, madame ? le croyez-vous ?

doña mencia.

Oui, Jacinthe, il est des momens où je n’en puis douter. C’était la nuit, il parlait à voix basse, et moi j’étais si persuadée et si troublée de la visite de l’infant, que cette erreur a pu avoir lieu. Ajoute à cela qu’il joue une gaieté extrême quand il est près de moi, et que seul il ne fait que pleurer et gémir. — Oh ! quelle affreuse situation que la mienne !

Entre COQUIN.
coquin.

Madame !

doña mencia.

Qu’y a-t-il de nouveau ?

coquin.

J’ose à peine me risquer à vous le dire. L’infant don Henri…

doña mencia.

Assez, ne continue pas ; que ce nom ne m’importune plus désormais. Je le redoute et l’abhorre.

coquin.

n’est pas un message d’amour, et c’est pour cela que je m’en suis chargé.

doña mencia.

Alors je t’écoute.

coquin.

L’Infant, madame, a eu aujourd’hui une querelle avec son frère le roi don Pèdre. Je n’essaierai pas de vous la conter, d’abord parce que je n’en connais pas trop les détails, et ensuite parce qu’il n’appartient pas à un bouffon de mon espèce de rapporter les discours des rois. Quoi qu’il en soit, après cela l’infant m’a appelé et m’a dit en grand secret : « Tu diras de ma part à doña Mencia que ses dédains sont cause que j’ai perdu les bonnes grâces de mon frère, que je quitte ma patrie dès aujourd’hui et que je fuis en pays étranger, où je n’espère pas de vivre puisque je meurs détesté de Mencia. »

doña mencia.

L’infant aurait perdu les bonnes grâces du roi et serait obligé de s’exiler par rapport à moi ! Cet événement sera cause que ma réputation deviendra la proie des bavardages du vulgaire ! Que faire, grand Dieu ?

jacinthe.

Il faudrait, madame, prévenir ce malheur.