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JOURNÉE II, SCÈNE V.

don gutierre, rentrant, à part.

Si je reste là, caché, on pourra m’y découvrir, et Mencia verrait bien que j’ai tout entendu. — Et pour qu’elle ne m’offense pas deux fois en même temps, l’une par sa conduite, l’autre par la pensée qu’elle aurait que je la connais et m’y prête, je vais la tromper encore. (À haute voix.) Holà ! holà !… Eh bien ! que fait-on ici ?

doña mencia.

Ah ! c’est lui ! — don Gutierre !

don gutierre.

Comment ! on n’a pas encore allumé à cette heure ?

jacinthe, entrant avec un flambeau.

Voici, monseigneur !

don gutierre.

Ma chère Mencia !

doña mencia.

Ô mon époux bien-aimé !

don gutierre, à part.

Quelle hypocrisie !

doña mencia.

Par où donc êtes-vous entré, monseigneur ?

don gutierre.

J’ai toujours sur moi une clef qui ouvre la poterne. — Mais de quoi vous occupiez-vous là, ma bien-aimée, toute seule ?

doña mencia.

J’arrive au jardin. L’air, comme je passais près de la fontaine, a éteint mon flambeau.

don gutierre.

Je ne m’étonne pas, madame, que l’air ait éteint votre flambeau. Il est si vif, si froid, que si vous vous fussiez endormie en ce lieu il aurait pu éteindre votre honneur.

doña mencia.

Je cherche à vous comprendre, et, malgré mes efforts, je ne vous comprends pas.

don gutierre.

Voici une chose digne de remarque : quand un souffle a éteint un flambeau, un autre souffle le rallume. Mais il n’en est pas ainsi de la vie, il n’en est pas ainsi de l’honneur. La vie ! l’honneur ! hélas !… — une fois éteints ne se rallument plus. C’est pour toujours !

doña mencia.

Évidemment, seigneur, vous donnez à vos paroles un double sens qu’il m’est impossible de saisir. Auriez-vous, par hasard, de la jalousie ?

don gutierre.

Moi, de la jalousie ! moi !… Savez-vous ce que c’est que la jalousie ? Quant à moi, je ne le sais pas ; et si je le savais !…