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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

le prierai de se choisir un autre confident pour ses amours. — Le jour disparaît, ne tardons pas. Non, quoi qu’il puisse m’en coûter, et dussé-je périr, non, je ne l’accompagnerai pas à la maison de don Gutierre.

Il sort.

Scène V.

Un jardin. — La nuit.
Entre DON GUTIERRE.
don gutierre.

Me voici arrivé chez moi sans que l’on m’ait aperçu. Je n’ai pas averti Mencia que le roi m’avait accordé ma liberté ; elle m’aurait attendu, elle aurait pris ses précautions — J’aime la nuit, et son silence, et ses ténèbres ; je l’aime malgré l’effroi secret qu’elle m’inspire ; je l’aime comme le tombeau de la vie humaine ! — Puisque je me suis appelé le médecin de mon honneur, il faut que de lui je prenne soin. — C’est la même heure à laquelle il a eu déjà une crise hier au soir ; voyons si les mêmes symptômes se représenteront aujourd’hui. — Que l’honneur m’inspire, lui pour qui je veille ! J’ai franchi le mur de clôture du jardin pour qu’on ignore ma présence. — Dieu ! quelle folie c’est à l’homme de vouloir connaître son malheur ! — On dit qu’il est impossible à un infortuné de retenir ses pleurs. — Celui qui a dit cela en a menti, trois fois menti ! Je suis le plus infortuné des hommes, et cependant je ne pleure pas. — Voilà le pavillon où elle a coutume de se tenir au commencement de la nuit. Marchons sans bruit ; rien ne doit trahir le pas des soupçons jaloux. (Une décoration s’enlève et l’on voit Mencia endormie.) Ah ! Mencia, adorable Mencia, quels tourmens, quels affreux tourmens tu causes à mon amour ! — Retirons-nous pour cette fois ; mon honneur va bien, il ne court aucun hasard pour aujourd’hui. — Mais quoi ! pas une femme de chambre, pas une servante, pas une esclave auprès d’elle !… Si elle attendait quelqu’un ! — pensée injuste ! ô crainte misérable ! ô infâme soupçon !… — Restons ici cependant. Il m’est impossible de m’éloigner. Je suis curieux de voir où en est la maladie. Éteignons ce flambeau. (Il éteint le flambeau.) Allons près d’elle a travers une double obscurité, privé de la lumière de ce flambeau et de la lumière de ma raison… (Il s’approche.) C’est son voile que je touche !… Quelle suave odeur elle exhale !.. (Il l’appelle et la réveille.) Mencia ! ma chère Mencia !

doña mencia.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce donc ?

don gutierre.

Ne criez pas.

doña mencia.

Qui êtes-vous ?