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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

(EL MÉDICO DE SU HONRA.)




NOTICE.


On serait tenté de croire que M. Schlegel avait en vue le Médecin de son honneur (el Médico de su honra), lorsque, dans son éloquente apologie de Calderon, il écrivait ces lignes remarquables : « Je ne saurais trouver une plus parfaite image de la délicatesse avec laquelle Calderon représente le sentiment de l’honneur, que la tradition fabuleuse sur l’hermine, qui, dit-on, met tant de prix à la blancheur de sa fourrure, que, plutôt que de la souiller, elle se livre elle-même à la mort quand elle est poursuivie par les chasseurs. » Cette comparaison, si ingénieuse et si exquise, devient d’une justesse frappante si on l’applique au Médecin de son honneur, qui se venge en quelque sorte à l’avance d’un outrage qu’il redoute.

À quelle source Calderon a-t-il puisé le sujet de sa pièce ? nous l’ignorons. Tout ce que nous pouvons dire à cet égard, c’est qu’il est à peu près impossible qu’il l’ait emprunté à aucune tradition étrangère ; et quant à celles des traditions nationales que nous connaissons, nous n’y avons rien trouvé qui ait pu inspirer au poète l’idée première de son drame.

Au point de vue de l’art, le Médecin de son honneur est, selon nous, l’un des chefs-d’œuvre de Calderon. Ce n’est pas qu’on ne pût y blâmer avec justice, comme dans les autres comédies de notre poète, un certain abus de l’esprit et de l’imagination, des comparaisons redoublées, des métaphores déplacées, des hyperboles plus que castillanes ; mais que de beautés rachètent ces défauts ! Même en laissant de côté l’ensemble de la composition, qui révèle un si grand génie, que l’on en étudie les diverses parties avec soin, et l’on verra comme elles sont heureusement inventées, curieuses, originales. — Dans la première journée c’est l’exposition, qui, par parenthèse, a été imitée tant de fois. Dans la seconde journée, c’est la scène, imitée aussi par Beaumarchais, où don Gutierre, cherchant dans sa maison un homme qui s’y est clandestinement introduit, saisit, à travers l’obscurité, son propre valet, qu’il prend pour cet homme et qui pousse des cris, tandis que doña Mencia s’abandonne à la terreur, s’imaginant que c’est son amant qui a été découvert par son mari ; puis, le monologue où don Gutierre s’ingénie à expliquer de la manière la plus favorable les incidens qui ont alarmé sa jalousie ; puis, cet entretien nocturne entre don Gutierre et sa femme, où celle-ci, croyant parler à son amant, décèle peu à peu à son mari le trouble de son cœur. Mais ce qui nous semble vraiment admirable, c’est la troisième journée tout entière. Dès lors, pas un instant de langueur, de répit ; une situation intéressante succède à une autre ; l’action marche avec une entraînante rapidité jusqu’à la scène qui termine la pièce si énergiquement. Nous nous contenterons d’appeler l’attention du lecteur sur ces deux scènes, que sépare la catastrophe, où un musicien mystérieux chante une romance composée sur le départ de l’Infant. Shakspeare lui-même n’a pas, à notre avis, un effet qui soit en même temps plus poétique et plus dramatique.

On a dit et répété que Calderon ne peint jamais que des caractères généraux ;