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Certes Proudhon est confus, contradictoire, heurté, chaotique. C’est un torrent plus souvent trouble que limpide. On peut tout y prendre. Je ne veux pas dire avec une égale raison, mais du moins avec une égale apparence de raison. Tout y prendre, sauf le royalisme…

Bonne occasion de relire quelques-unes des pages les plus savoureuses de la Solution du Problème social et de l’Idée générale de la Révolution. Je ne demanderai pas aux monarchistes fondateurs du Cercle P.-J. Proudhon ce qu’ils en pensent : ils seraient capables de me répondre qu’elle. prouvent la nécessité d’une restauration royaliste[1]

Et puis oublient-ils l’Église et le Christianisme, que Proudhon a poursuivis de sa haine acharnée ? On se demande vraiment comment les hommes qui, hier encore, applaudissaient à l’assassinat de Ferrer[2] osent se réclamer de l’auteur de La Justice dans la Révolution et dans l’Église.

Quelle honte pour les socialistes de laisser tomber ainsi le dépôt des idées proudhoniennes !

Ce Cercle Proudhon, qui donc si ce n’est eux devait en prendre, et depuis longtemps, l’initiative ? Mais les jours sont loin, où la vie intellectuelle inondait les cercles socialistes. On ne s’y nourrit plus que de clichés et de formules, — quand on s’y nourrit. Mais qu’on y parle de Proudhon, et aussitôt s’affichent les dédains dogmatiques et les mépris supérieurs. Proudhon ? — C’est un petit-bourgeois, réactionnaire. Marx l’a dit !

Combien plut vivants, plus habiles aussi, sont ces néo-monarchistes qui ne reculent sans doute devant aucun artifice, mais qui ont du moins, hélas ! pour une partie de la jeunesse, l’attrait de l’audace[3].

  1. C’est ce que nous n’y cherchons pas et c’est ce que nous ne ferons pas. Si nous nous rattachons à l’œuvre proudhonienne, ce n’est pas pour y chercher une doctrine politique, mais un esprit d’organisation qui a déjà présidé à la formation de plusieurs d’entre nous. Cet esprit est français. Il est anti-démocratique ; il exclut rigoureusement tout romantisme politique, et par lui, nous raccordons en nous et dans la nation, deux traditions qui sont également vivantes et fortes. Nous avons lu dans un journal social que Proudhon, ce fils d’ouvrier, est un royaliste. C’est une sottise. On ne la retrouvera pas ici. On ne nous verra pas non plus occupés à chercher si Proudhon aurait pu ou aurait dû, poussé par la logique de ses idées, conclure à la monarchie. Nous ne forcerons pas l’œuvre proudhonienne, nous ne lui demanderons que ce qu’elle peut nous donner pour l’organisation de la cité. Le problème de l’État, lorsque nous le poserons ici, nous le résoudrons entre nous. Avec Proudhon, sans Proudhon, nous verrons bien.
  2. Aucun de nous n’applaudit à l’assassinat de Ferrer. Nous avons dénoncé la mystification dreyfusienne qui a organisé en France, sous le nom de Ferrer (contre les classes ouvrières, contre le syndicalisme), la Franc-Maçonnerie soutenue par l’Allemagne et par Israel. L’un de nous a fait l’histoire de la campagne de fausses nouvelles et de mensonges menée, au moment du procès Ferrer, par l’orchestre ferreriste et il a révélé comment cette campagne a été brusquement arrêtée, en France, en quarante-huit heures, par Briand, sur l’ordre de l’ambassadeur d’Angleterre. Il ne s’est pas trouvé alors un ferreriste pour oser protester, par la discussion des faits, contre les informations et les explications que notre ami a apportées au lendemain des grandes manifestations ferreristes, en novembre 1909.
  3. Enregistrons ces aveux, l’aveu de cette honte, l’aveu de cette impuissance. Oui, c’est une honte pour les socialistes d’avoir abandonné la pensée proudhonnienne. Cette honte engendre leur impuissance. Ils ne pouvaient y échapper. Pouvaient-ils en tirer une puissance intellectuelle et échapper ainsi à la décadence qui frappe leur pensée ? C’est précisément ce que nous nions. Démocrates, libertaires parfois, tendant toujours à la destruction des contraintes morales et économiques qui conservent les institutions fondamentales de l’humanité, comme la famille et la propriété, romantiques en toutes choses, les socialistes français, de formation judéo-germanique, ne pouvaient se réclamer de la pensée proudhonienne, traditionnelle et française. Ils n’ont pu qu’exploiter la réputation révolutionnaire du nom de Proudhon. Ce qu’ils ont fait, ils le referont ; ce qu’ils n’ont pu faire, ils ne le referont pas aujourd’hui. Ou s’ils vont à Proudhon, ils abandonneront le socialisme, et nous nous retrouverons.