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nes qu’elle s’est donnés et à s’en procurer de nouveaux, dont elle se détachera comme des premiers, et qu’elle prendra en pitié et en aversion, jusqu’à ce qu’elle les ait remplacés par d’autres. La Liberté, comme la Raison, n’existe et ne se manifeste que par le dédain incessant de ses propres œuvres : elle périt dès qu’elle s’adore. C’est pourquoi l’ironie fut de tout temps le caractère du génie philosophique et libéral, le sceau de l’esprit humain, l’instrument irrésistible du progrès. Les peuples stationnaires sont tous des peuples graves : l’homme du peuple qui rit est mille fois plus près de la raison et de la liberté que l’anachorète qui prie ou le philosophe qui argumente. Ironie, vraie liberté ! c’est toi qui me délivres de l’ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l’admiration des grands personnages, des mystifications de la politique, du fanatisme des réformateurs, de la superstition de ce grand univers et de l’adoration de moi-même. Tu te révélas jadis au sage, sur le trône, quand il s’écria, à la vue de ce monde où il figurait comme un demi-dieu : Vanité des vanités ! Tu fus le démon familier du philosophe, quand il démasqua du même coup et le dogmatiste et le sophiste, et l’hypocrite et l’athée, et l’épicurien et le cynique. Tu consolas le Juste expirant, quand il pria sur la croix pour ses bourreaux Pardonnez-leur, ô mon Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! Douce ironie ! Toi seule est pure, chaste et discrète. Tu donnes la grâce à la beauté et l’assaisonnement à l’amour tu inspires la charité par la tolérance ; tu dissipes le préjugé homicide tu enseignes la modestie à la femme, l’audace au guerrier, la prudence à l’homme d’État. Tu apaises, par ton sourire, les dissensions et les guerres civiles ; tu fais la paix entre les frères ; tu procures la guérison au fana-