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tout autre ordre, mais avec des accointances profondes, c’est toujours la femme de trente ans et l’homme de quarante ans. On ne veut pas qu’il soit dit que toute une jeunesse ait été perdue. On ne veut pas que tant d’espérance, qu’une si naïve innocence ait été totalement jouée, soit demeurée totalement vaine. Et totalement inféconde. On ne veut pas que tant de candeur, qu’une aussi belle jeunesse, que les vastes espoirs aient été à ce point abusés. On se révolte alors, et que nos maîtres le sachent bien, cette révolte peut être singulièrement dangereuse parce qu’évidemment elle est la dernière, parce qu’on sent bien, parce qu’on sait bien qu’elle est la dernière. Et de n’avoir servi à rien, on veut au moins que ça serve à quelque chose. Tout ce qui a été refoulé revient d’autant plus fort, et d’autant plus impérieux, et d’autant plus irrésistible. Et d’autant plus fort aussi que l’on sent bien que ce sera pour la dernière fois. Tout ce qu’il y a de grave et de sérieux et de capital et d’uniquement grand dans l’extrême et dans le dernier apparaît ici et dernièrement rejaillit. Tout ce qui a été refoulé reflue, en un dernier saisissement, en un dernier courage. Moi-même qui me suis constamment si mal défendu et qui à vrai dire ne me suis pour ainsi dire jamais défendu, je mesure très bien jusqu’où nous défendrons nos enfants, et que nous les défendrons jusqu’au bout ; et que nous tiendrons le coup ; et que nous sommes résolus à emporter le morceau. C’est même singulier comme on peut ne pas être courageux pour soi et ne pas l’être pour son honneur même et l’être pour ses enfants. Un remords propre, un honneur singulier, un remords singulier nous pousse alors, inconnu de tout homme qui n’est pas père.

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