ne jamais manquer de rien et comme disait ma mère
qu’il aura toujours du pain pour ses vieux jours. Ils
croyaient cela tous, d’une croyance antique et enracinée,
d’une créance indéracinable, indéracinée, que
l’homme raisonnable et plein de conduite, que le laborieux
était parfaitement assuré de ne jamais mourir de
faim. Et même qu’il était assuré de pouvoir toujours
nourrir sa famille. Qu’il trouverait toujours du travail
et qu’il gagnerait toujours sa vie.
Tout cet ancien monde était essentiellement le monde de gagner sa vie.
Pour parler plus précisément ils croyaient que l’homme qui se cantonne dans la pauvreté et qui a, même moyennement, les vertus de la pauvreté, y trouve une petite sécurité totale. Ou pour parler plus profondément ils croyaient que le pain quotidien est assuré, par des moyens purement temporels, par le jeu même des balancements économiques, à tout homme qui ayant les vertus de la pauvreté consent, (comme d’ailleurs on le doit), à se borner dans la pauvreté. (Ce qui d’ailleurs pour eux était en même temps et en cela même non pas seulement le plus grand bonheur, mais le seul bonheur même que l’on pût imaginer). (Bien se loger dans une petite maison de pauvreté).
On se demande où a pu naître, comment a pu naître une croyance aussi stupide, (notre profond secret, notre dernière et notre secrète règle, notre règle de vie secrètement caressée) ; on se demande où a pu naître, comment a pu naître une opinion aussi déraisonnable, un jugement sur la vie aussi pleinement indéfendable. Que l’on ne cherche pas. Cette morale n’était pas stupide. Elle était juste alors. Et même elle était la seule