connu cet être. Or cet être-là, ce peuple, c’est celui que
nous aussi nous avons connu, c’est celui où nous avons
été élevés. C’est celui que nous avons connu encore
dans son plein fonctionnement, dans toute sa vie, dans
toute sa race, dans tout son beau libre jeu. Et rien ne
faisait prévoir ; et il semblait que cela ne dût jamais
finir. Dix ans après il n’y avait plus rien. Le peuple
s’était acharné à tuer le peuple, presque instantanément,
à supprimer l’être même du peuple, un peu
comme la famille d’Orléans, un peu moins instantanément
peut-être, s’est acharnée à tuer le roi. D’ailleurs
tout ce dont nous souffrons est au fond un orléanisme ;
orléanisme de la religion ; orléanisme de la république.
Voilà ce qu’il faudrait marquer dans des Confessions. Et tâcher de le faire voir. Et tâcher de le faire entendre. D’autant plus exactement, d’autant plus précieusement, et si nous le pouvons d’autant plus uniquement que l’on ne reverra jamais cela. Il y a des innocences qui ne se recouvrent pas. Il y a des ignorances qui tombent absolument. Il y a des irréversibles dans la vie des peuples comme dans la vie des hommes. Rome n’est jamais redevenue des cabanes de paille. Non seulement, dans l’ensemble, tout est irréversible. Mais il y a des âges, des irréversibles propres.
Le croira-t-on, nous avons été nourris dans un peuple gai. Dans ce temps-là un chantier était un lieu de la terre où des hommes étaient heureux. Aujourd’hui un chantier est un lieu de la terre où des hommes récriminent, s’en veulent, se battent ; se tuent.
De mon temps tout le monde chantait. (Excepté moi, mais j’étais déjà indigne d’être de ce temps-là). Dans la plupart des corps de métiers on chantait. Aujourd’hui