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Circé et Calypso ont-elles depuis longtemps fait naître en toi quelque trouble inconnu. Et moi, lorsque j’ai lu les noms d’Antinoüs, de Polybe et de Médon, tout mon sang n’était-il pas glacé dans mes veines ? Parmi tant de jeunes poursuivants, au milieu des fumées du vin (hélas ! sur quelle preuve m’appuyer pour le croire ?), tu restes toujours pure !… Mais si tes yeux sont toujours mouillés de larmes, pourquoi quelques amants ont-ils su te plaire ? Pourquoi tes pleurs n’ont-ils pas altéré ta beauté ?… Déjà même tu serais engagée dans de nouveaux liens, sans l’heureux stratagème de cette toile, que tu défais adroitement à mesure qu’elle s’achève. Tendre artifice !… mais aurait-il le même succès toutes les fois que tu détournerais les yeux de ton travail ?

O Polyphème, que n’ai-je péri au fond de ton autre ! La mort m’eût épargné de si grands maux. Que ne suis-je tombé sous le fer d’un Thrace, quand mes vaisseaux errants mouillèrent à Ismare ! Que n’ai-je été la proie de l’impitoyable Pluton, le jour où, suspendant le cours des destinées, je revins des ondes du Styx ! Là, j’ai revu (c’est en vain que tu gardes sur ce point le silence) ma mère qui vivait encore à mon départ. Elle avait donné dans les mêmes travers. Aussi, pour éviter mes reproches, elle a fui, et s’est trois fois dérobée à mes embrassements. J’ai vu l’intrépide Protésilas qui, au mépris des oracles, porta le premier la guerre dans la patrie d’Hector. Heureux époux ! sa vertueuse femme l’accompagne en souriant au milieu des ombres courageuses. La Parque n’avait pas encore compté ses jours. Mais qu’il est doux de devancer, comme elle, les ordres du Destin ! J’ai vu (non sans répandre des larmes) Agamemnon, hélas ! inondé de sang. En vain il avait échappé au désastre de Troie, à