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La fosse mugissante s’entr’ouvre. Au fond sourient les poissons aux yeux verts qui se repaissent de la chair des cadavres. La barque enfin chavire. Le gouffre insatiable attire tout……

Longtemps l’agile nageur dispute à l’élément furieux les restes de son amour. Mais ses forces s’épuisent ; il abandonne au destin ce qu’il avait de plus cher, et l’instinct suprême de la conservation lui revient pour appeler à l’aide.


C’est la pointe du jour. Les paysans mettent le nez à leurs fenêtres de papier gras et se frottent les yeux pour voir d’où partent les cris de détresse. Ils courent de l’un chez l’autre, s’agitent, bavardent, disputent beaucoup pour ne rien faire. Et vingt fois le pêcheur serait mort s’il n’avait eu ses deux bons bras pour le ramener au rivage désiré.


Quand il reprit ses sens, il raconta dans le bourg de Talloires l’épouvantable catastrophe de la nuit. Depuis, il ne monta plus de nacelle, ne dansa plus et ne courtisa plus les filles du village. Souvent les bateliers vinrent lui rapporter qu’ils entendaient, vers l’aube du matin, comme des sanglots, à la place où s’était déroulé le drame lugubre.

…… Est-ce la voix de l’abîme ? Ou celle du Chevalier du Lac ? Ou bien les soupirs d’amour que la bergère de Menthon envoie du fond des eaux à son fiancé fidèle ?


…… Depuis ce temps, dans ces belles contrées,