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posa 528 quelque temps sa pauvre âme qui, plus tard, devait tant souffrir.

Singulier homme encore ! Tourmenté par ses pensées, comme un octogénaire ; sensible, comme un enfant, à la moindre preuve d’affection qui lui était donnée ; tremblant, ainsi qu’un prophète, à l’heure d’inspiration ; ferme, obstiné dans son inexorable logique ; tantôt transporté et tantôt abattu ; résigné dans toutes les épreuves de sa rude carrière ; insouciant, comme un poète, de la vie quotidienne ; mené, ramené par une gouvernante qu’il n’aimait pas, mais qui lui était indispensable pour cirer ses souliers.

Tout rappelle son nom dans les contrées alpestres, en Suisse et en Savoie : les fleurs qu’il recueillait ; les bonnes gens avec lesquelles il aimait à s’entretenir ; les chemins frais au bord des ruisseaux où il allait, tête baissée, poursuivant la pensée si prompte à la fuite ; les sources qui rient au ciel à travers leur voile de cresson vert ; les fauteuils de pierre dans la montagne ; les abbayes et les châteaux qui s’avancent dans les eaux du lac, sur des presqu’îles chargées d’arbres, pareilles à des bateaux de verdure. Il aimait tout cela !

Je me suis assis sur les degrés de cette maison qui tombe ; j’ai repassé, dans ma mémoire, les épreuves que cet homme avait souffertes, et ses œuvres qui préparèrent une révolution dans les sociétés d’Occident. — C’était le matin ; le soleil rougissait l’horizon, mettant en fuite les ténèbres