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Ainsi le veut ce siècle ! Tout ce qui est éternel, immatériel en nous, il faut le sacrifier à tout ce qui est temporel, fait d’argile et de fange, rebutant, fatigant de quotidiennes nécessités. L’âme est esclave du corps, la pensée du besoin ; l’enveloppe étouffe l’essence ; l’inspiration, l’honneur, l’amour, la liberté, la dignité d’un homme dépendent de l’état de son estomac.

466 Étrange dégradation de la nature vivante ! Suicide éternel ! En quoi la mort diffère-t-elle donc tant d’une pareille existence ? Je le répète, je la trouve plus rapide, plus franche, escortée de moins d’angoisses et de terreurs : ce n’est qu’un mauvais quart d’heure à passer !

Pleurez, femmes de Piémont ! Que vos beaux yeux fondent en larmes sanglantes ! Pleurez de désespoir, de rage et d’orgueil offensé ! Relevez-vous les premières : en Occident les hommes sont morts !




Ah comment l’homme ne maudirait-il pas la puissance de l’homme, les merveilleuses découvertes de l’industrie, le génie, la richesse, la gloire qui tournent contre lui ? Quand ses mouvements sont paralysés par ceux des machines, quand il se sent emprisonné, gémissante victime d’une transformation gigantesque, dans une écorce de fer, comment ne chercherait-il pas à la briser ? Certes il reconnaît que la machine est belle, qu’elle fait plus de travail que l’homme et pourrait lui épargner beaucoup de peine ; mais il voit aussi