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sites de ses employés-espions, qui lui mesura l’air, le feu, le vêtement, la lumière, le soleil et les livres ; qui troubla sans répit la religion de sa solitude, lui disputant, heure par heure, la vie du corps et la vie de l’esprit. Ce fut ce gouvernement qui la tortura patiemment, doucement, paternellement, poliment, en personne du monde, lui conseillant de se faire oublier, d’abandonner son honneur et son nom aux ongles du mépris, d’être morte et vivante à la fois, vivante comme on l’est dans un cachot !

Eh bien ! Messieurs et Mesdames, sachons être contents de notre sort fortuné ! Estimons-nous heureux que nos gouvernants veuillent bien comprendre nos sensations les plus délicates, faire visiter leurs Bacchantes offlcielles et nous vendre très cher leurs tabacs empoisonnés. Mais n’exigeons pas d’eux l’impossible, le luxe. Ne font-ils pas tout ce qu’ils peuvent ? Êtes-vous parfaits vous-mêmes pour leur demander la perfection ! Après tout, nous ne les payons pas pour savoir ce que sont l’honneur et le courage d’une femme. Le figuier est un bel et bon arbre ; mais ce n’est pas un cep de vigne, et il ne faut pas s’attendre à lui voir porter des raisins. Il ne faut pas oublier non plus qu’un directeur de prison, un inspecteur de police, un préfet, un fonctionnaire quelconque ne sont pas des hommes. À ces sortes de fauves le réglement tient lieu de conscience, de tête, de seconde nature. Ces espèces-là vivent de sang et de larmes ; leur imagination travaille sans cesse à découvrir