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voile du vaisseau de haut-bord ; à mesure que j’élevais mon chant vers l’avenir, comme le coq élève le sien vers l’aurore, les hommes s’éloignaient de moi. — Je parle de mes amis ; quant à mes ennemis, ils ne me quittaient pas d’un regard.

Et moi simple, aimant, je cherchais à les rejoindre et leur criais 6 de mes deux poumons : par ici, par ici ! Je suis dans les ténèbres, dans la poussière et les chemins creux. Ne me voyez-vous pas ? Ne viendrez-vous pas à mon aide ?

Bon moyen pour les faire courir ! Plus je les appelais, plus ils fuyaient ; plus je me lamentais, plus ils riaient de mon embarras ; plus je tendais mes mains de leur côté, plus ils enfonçaient les leurs au fond de leurs poches sonores ; plus les ombres devenaient épaisses autour de ma tête, plus ils s’ébattaient, de tout leur corps, au grand soleil.

Et voilà les hommes, me disais-je : tartuffes, menteurs, sans amitié, sans indépendance, sans vergogne ! Ils sont comme les brebis qui se serrent en troupeau quand elles entendent égorger leur sœur. Ils sont comme le chien de ce fameux Jean, bourgeois de Nivelles ; ils se sauvent quand un ami les appelle à l’heure de la détresse. Ils sont comme l’âne de la fable ; ils prodiguent de lâches insultes au courage abattu. Ils sont pareils à Judas, ou tout au moins à Pierre et à M. Guizot.

Vous avez vu courir sur les abîmes ces nuages aux flancs gris qui ne renferment pas d’électricité pour deux liards. Jamais ils ne la dépensent s’ils