Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’exilé n’est pas de ce monde.

Dans ce monde la femme la plus mignonne trouve délicat, gracieux le négociant affairé qui dépose à la hâte une pièce d’or sur le coin de son étagère.

Dans ce monde, l’artiste le plus chevelu martèle son cerveau pour trouver la place d’une étoile sur le front étroit du Bonaparte-Mulet !

Dans ce monde, une tragédienne renommée déclame la Marseillaise ou la clémence d’Auguste, selon les temps et les lieux, proportionnant son inspiration à son salaire. Et la foule l’admire et couvre de couronnes ses pieds gonflés d’orgueil !

Dans ce monde, ô profanation ! les poètes se ravalent à mendier les éloges des têtes royales. Plus eunuques que l’esclave antique, ils chantent leur servitude et leur honte !

L’exilé n’est pas de ce monde.

Dans ce monde les rameaux des lauriers et des chênes sont cueillis par les mains brutales des valets de prétendants. Et ceux-là sont proscrits qui ne sont ni bouffons ni lâches, qui ne portent pas à la boutonnière l’infamante livrée des hommes vendus.

L’exilé n’est pas de ce monde.

Dans ce monde je vivrai, puisqu’il le faut, mais je l’attaquerai, le harcèlerai sans trêve. Comme le contrebandier, comme le pauvre dont la misère arme le bras vengeur, j’opposerai ma revendication courageuse au pillage des lois.

L’exilé n’est pas de ce monde.