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VI


198 Pour d’autres que pour moi sont tressés les crins des coursiers noirs, pour d’autres les jeunes filles crêpent leurs cheveux, pour d’autres les fêtes de nuits retentissent. Pour d’autres pétille le généreux Jerès, pour d’autres est chaussé le pied mignon des sorcières de Séville. Ici comme ailleurs, je suis de trop.

L’exilé n’est pas de ce monde.

Sous des cieux moins splendides me suffisait un misanthropique orgueil ; enfant de vingt ans, j’étais fier d’être plus sage que les vieillards. À Londres je me réchauffais bien pendant toute une nuit, les pieds contre la grille en feu, la tête sur la page qui marquait d’un fer rouge les épaules bourgeoises. Je prenais la fièvre en chantant :

L’exilé n’est pas de ce monde.

Aujourd’hui, j’écris que la vie, c’est la recherche du bonheur, et j’en suis altéré…

Et j’en suis altéré. Et quand, sous les balcons, frémit la sérénade, je siffle de dépit, je m’habille et la suis. Et volontiers je ramasserais la poussière qui porte l’empreinte d’un escarpin de soie. Je me console ainsi.

L’exilé n’est pas de ce monde.

Hier j’étais philosophe, aujourd’hui je suis sage. Hier je consumais ma vie sur des livres et des cadavres, aujourd’hui j’ai le cigare à la lèvre et des