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parce qu’ils sont plus gracieux mais infiniment moins chers.

Quelques pâles becs de gaz étincellent sur des milliers de têtes extérieurement entretenues avec un soin qui témoigne beaucoup plus en faveur des perruquiers que des jésuites chargés de l’instruction publique. Les corps qui supportent ces chefs frisés et pommadés s’entassent dans une allée longue de cinq cents pas, large de dix au plus, et là cuisent, étouffent, se pâment, par une chaleur de trente-six degrés, pour la suprême gloire de la Civilisation.

C’est cette cohue, cette poussière, cette sueur, le bourdonnement indescriptible qu’on est convenu de nommer le Prado. En dehors de ce salon du goût achevé et des belles manières, où les gens comme il faut luttent de salutations et de réparties ricanantes, 195 le vulgaire espace, la lune mesquine et l’air vagabond sont abandonnés à la plèbe des Castilles.


Quoi de plus ? Au Prado poudreux afflue le soir, de toutes les parties de la ville, cette société monotone et cérémonieuse qu’on rencontre par tous pays et qui, morfondue par le travail de comptoir, vient prendre là quelque peu d’exercice. Il s’y bâcle des alliances, des intrigues et des affaires véreuses ou non. La mère y cherche un parti pour sa fille ; docile aux leçons maternelles, la fille répond d’un air indifférent aux fades politesses qui lui sont adressées. La vieille demoiselle s’épuise