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pour les souffrances d’un taureau ; il faut être, pour cela, dépourvu de bon sens comme le pauvre Jean-Jacques ou les sociétés philobêtes de Londres.

— Pour moi, j’ai toujours méprisé l’opinion générale, ce tyran à mille têtes que les plus humbles ne désarmèrent jamais. Toujours il m’a semblé que ne pas avoir le public contre soi, c’était se rendre coupable de ses injustices. Et si quelquefois je l’ai consulté, ce ne fut jamais pour mendier ses faveurs mais pour me procurer les émotions dont j’avais besoin. Je ne le cacherai pas plus aujourd’hui que par le passé.

Je suis fait autrement que les autres, et il serait à souhaiter que ce que je dis là ne parût plus prétentieux et invraisemblable. Il est temps enfin que les hommes ne se défigurent plus sur ce glorieux modèle qu’on nomme le bon ton, l’opinion modérée, l’usage, la convenance… que sais-je encore ?

Je sympathise avec le taureau ; c’est bête, mais c’est juste. Je revendique pour lui parce qu’il ne parle pas notre langue, parce que nous pouvons prétendre que nous ne comprenons pas ses mugissements de douleur. Tandis que l’homme qui souffre peut élever le bras, tandis que la femme et l’enfant peuvent attendrir par leurs sanglots, et qu’il est impossible que les réclamations humaines ne soient pas écoutées quand elles sont unanimes.

174 Dans tous les cas on ne m’accusera pas d’ambition, car l’homme s’étant adjugé la royauté des animaux en vertu de son droit divin, tous les ef-