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V


Une porte s’ouvre. Le voilà ! Le voilà ! C’est le taureau. Et d’un bond, l’animal est au milieu de l’arène…

Mille cris l’accueillent : « Qu’il est grand ! Qu’il est fort ! Que sa devise est belle ! Bon taureau ! Taureau de lutte ! » — On répète 167 son nom, et le nom de l’éleveur, et ceux des animaux de même race qui se défendirent vaillamment. — On lui montre le poing, on le harangue, on le siffle, on le provoque ; les vociférations de haine et de mort le poursuivent. Dans cette foule immense il n’est pas une femme, pas un enfant qui versât une larme pour racheter la vie de la pauvre bête, qui volontairement se privât du spectacle de sa mort.

L’animal s’est arrêté. Lui qui parcourut libre des prairies sans clôtures, il s’étonne de se trouver seul au milieu de tant d’hommes rassemblés dans un étroit espace. Il écoute tous ces bruits confus ; il aspire l’air chargé d’électricité, de chaleur et de parfum ; ses oreilles se sont dressées ; ses naseaux sont large-ouverts ; il bat ses flancs de sa queue.

Et puis, par degrés, il s’irrite de ces exclamations furieuses, des couleurs éclatantes et du son déchirant des instruments de cuivre. Il a frémi sur ses forts jarrets, ses yeux sont rouges de sang… Et sous ses sabots de devant il fait voler la poussière.