Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grandit la moisson. Le matin tu passes la main sur son poil luisant, le soir tu presses ses mamelles gonflées. L’hiver son haleine te réchauffe, l’été son lait te rafraîchit. Tes enfants la caressent, ta femme la mène aux champs en teillant le chanvre parfumé. C’est ton trésor vivant, c’est ta mine d’or.

Quand la charrette du sanguinaire boucher passe dans le village, son bruit infernal te fend le cœur. Car tu songes qu’il faudra quelque jour lui vendre la pauvre compagne de tes joies et de tes peines. Alors elle te quittera pour être conduite à l’abattoir ; mais avant elle tournera vers toi ses grands yeux pleins de larmes, et t’enverra de loin son mugissement d’agonie !

Tu ne boiras pas de sang, dit l’Homme du Sinaï !


Homme des champs, homme de paix et de travail, c’est avec douleur que tu tires une pièce de ta poche ; mais enfin tu la sors quand il le faut absolument. Et tu ne pourrais pas même voir aiguiser le couteau qu’on plonge dans le cou de la bête qui, pendant de longues années, le servit fidèlement. Tu le vois donc, mon frère, l’amour est plus joyeux que l’intérêt, et plus fort que la mort !

Tu ne boiras pas de sang, dit l’Homme du Sinaï !


Homme des champs, homme de paix et de travail, ne te cache pas pour embrasser ton bœuf, ton âne ou ton cheval. L’amour 125 est respectable tant qu’il a pour objet un être sentant ; mais il