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porains. Pouvez-vous lire un journal ? Moi je ne le saurais et j’en suis satisfait. Car je connais d’avance les renseignements positifs, les scandales de haut-lieu, les nouvelles très peu gaies, les détails authentiques, les allusions transparentes, les révélations de source certaine, les réceptions, allocutions, publications, mentions, nominations, suppositions, interprétations, diffamations et déception hautement intéressantes qu’il peut contenir, les assertions sérieuses, les graves appréciations qu’il avance aujourd’hui, qu’il démentit demain. Je sais que les malheureux correspondants et rédacteurs doivent tout mettre au conditionnel : la grossesse de l’impératrice, la supériorité de Shakespeare sur M. Ponsard, celle de la Ristori sur la Rachel, cette Israélite froide comme un vers de Racine, le bombardement de Sébastopol, la destruction de la puissance russe surtout, l’existence même des lois, leur droit même d’écrire. Je sais qu’ils n’affirment rien, ne garantissent rien, ne réfutent rien, et retiennent de tout cela seulement leur salaire. Je sais qu’ils couvrent le vide de leurs colonnes sous un insupportable jargon de haute école que vous retrouverez dans tous, sans aucune espèce d’exception. Je sais qu’il pèse sur le journalisme français une certaine dictature inavouable d’alinéa, d’orientalisme, de byzantisme, de décadence, de verroterie, de potichomanie, de ballet, de tables tournantes, de minauderies, de réticences, de conventions, de demi-confidences, de galanteries, de petits sou-