Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
La Fuite de Papineau

sentent !…

Mais Nelson, dans sa vaniteuse suffisance de capitaine de fortune, se crut « le plus digne » et prit le commandement des armes. Papineau le savait brave, tonitruant, et connaissait son ascendant sur le peuple ; il ne lui contesta pas le titre de général de l’armée des patriotes. Nelson maniait mieux la lancette que le fusil ; il avait vu la mort de près, quand elle menaçait les autres, mais où trouver des militaires de carrière au Canada ? Ceux qui avaient fait la guerre de 1812 étaient ou trop vieux, ou attachés à l’Angleterre par les services qu’ils lui avaient rendus, les pensions qu’ils en attendaient et les faveurs dont ils bénéficiaient. Nelson, c’est évident, ne tenait pas à marcher dans le sillage lumineux de l’Orateur de l’Assemblée, aussi eut il l’habileté de persuader Papineau de laisser le champ de bataille, et de mettre sa précieuse personne en sûreté. Il fit vibrer la seule corde qui pouvait émouvoir l’âme de Papineau et vaincre ses hésitations, le patriotisme.

— Si les Anglais s’emparent de vous, c’en est fait de la révolution ! Elle est écrasée dans l’œuf…

Papineau était à demi convaincu :

— Mes amis me reprocheront plus tard de les avoir abandonnés au moment du danger…

Mais l’éloquence insinuante du général l’emporta sur la voix intérieure qui protestait contre ces perfides suggestions.

Papineau avait cinquante ans alors ; c’était encore un jeune homme d’apparence et de sentiments, avec un grand fond de naïveté. Incapable de mentir, il croyait à la sincérité d’autrui, mais il n’avait plus la fougue de ses vingt ans. Son esprit, à tournure scientifique, répugnait à la guerre infâme. Il s’était toujours défendu de la vouloir, tout en la préparant. À cette heure surtout, vue de si près, il en concevait l’horreur. Il savait que c’était une nécessité, à laquelle il ne pouvait plus se dérober, mais tout se révoltait en lui à l’idée de voir couler le sang nécessaire pour payer nos libertés. Sa présence à Saint-Denis, dès l’approche de la bataille, les dangers qu’il avait courus pour s’y rendre, éloigne toute idée de trahison, tout parti