Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
Papineau

opaque et lourd :

Que nous sert cette queue, il faut qu’on se la coupe.
Si l’on me croit, chacun s’y résoudra.

Mais dans ce temps, ces simples n’écrivaient que pour dire quelque chose. Peut-on croire qu’ils aient perdu leur temps à noircir des ballots de papier, s’ils avaient un but à faire des phrases ? Ils ont inscrit dans le vif de leur chair pensante un évangile de libération dont nous avons lieu d’être fiers. La forme qui enveloppait leurs beaux sentiments était déjà désuète. Mais il faut demander autre chose à ces novateurs politiques que de fignoler des phrases et de polir comme les ongles de nos élégantes les angles de leurs périodes. Pour Valdombre, notre littérature est inexistante. Il croit comme tout le monde que les bibliothèques, où l’on conserve ces livres, sont des nécropoles et que les fruits qu’on y cueille s’écrasent sous les doigts : telles les fleurs des ruines de Pompéi. Qu’il se détrompe, la période de stagnation est justement celle que nos manuels scolaires nous donnent comme l’âge d’or de notre littérature.

Les Viger, les Bédard, les Morin, les Parent, les Barthe on écrit des pages savoureuses. Sans doute ils étaient à l’étroit dans leur vocabulaire. Mais quelle poitrine ! Quel souffle !… Après des siècles, vous êtes empoignés par l’ardeur de ces auteurs frustes. Il faut comprendre qu’ils écrivaient à une époque où l’on n’avait ni la connaissance ni le goût du beau. Période de transformation, par où passent les littératures comme les mondes. Les forces se bousculent avant de s’harmoniser. Des ébauches se forment, s’élaborent dans des convulsions douloureuses qui tiennent de la mort ou de l’enfantement. Est-ce le chaos ou la fin du monde ? Cette exubérance de vie qui se traduit par des montagnes d’écriture n’est pas un signe avant-coureur de la dissolution. Cent journalistes et publicistes parlent tous à la fois. Ils sont possédés de l’esprit qui emportait sur ses ailes les prophètes et les évangélistes. Ils écrivent sous la hantise de l’échafaud ou de la prison. La vie d’un peuple s’affirme par la littérature, comme la foi, par les œuvres. Quel prodige que d’avoir pu se hausser au-dessus de difficultés sans