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La littérature de l’époque

cents, les patriotes disaient leurs rancœurs, leurs humiliations avec une habileté qui déroutait la persécution.

De fait, cette ironie voilée passait par-dessus la tête de ces palefreniers, de ces valets d’écurie juchés sur des palefrois. Dans cette habile stratégie organisée autour d’eux, ils n’y voyaient que du feu — c’est le cas de le dire. — Nos gens de plume recouraient à la chanson satirique, aux saynètes comiques pour agacer les maîtres. Ils menaient contre le régime des charges à fond de train où tout était réel, sauf le nom des acteurs et des lieux. Le public ne s’y trompait pas, lui, et il dévorait ces plaisanteries sitôt que parues.

Mains une fois sur ce terrain, on finit par s’enhardir, et les personnages officiels désignés plus clairement, commencèrent à avoir la puce à l’oreille. Événement fort heureux, car les journalistes eux-mêmes se seraient fatigués, à la longue, de la persistance de ces bonzes à ne pas vouloir comprendre.

Il arriva l’inévitable ; certains Canadiens renégats, qui trouvaient plus productif de se mettre du côté du « manche », éclairèrent la lanterne sale de ribauds obtus. Dès lors, des espions, recrutés jusque parmi la noblesse du pays, suivirent à la piste les directeurs de journaux et se faufilèrent dans leur intimité. Certains groupes furent dénoncés au gouvernement et des arrestations s’ensuivirent. L’éternelle histoire des gens qui croient étouffer la pensée en étranglant les écrivains, se répétait ici, et avec le même succès. Le mouvement se mit à grandir en raison de l’ardeur qu’on déployait pour le restreindre. En face de la vague hostile, qui montait toujours, ce gouvernement misérable au lieu de chercher à se rallier, par des mesures de réparations et d’apaisement, l’élite qui lui échappait, ne trouvait rien de mieux que de se rendre plus méprisable encore. Au lieu de sacrifier les membres gangrenés de l’administration, on les comblait d’honneurs et de sinécures. Les concussionnaires, les malversateurs de la chose publique, si l’on ne voyait pas leurs noms encore sur les vitraux coloriés des églises, ce qui avait le don d’exaspérer Bourassa, étaient anoblis par la cour d’Angleterre et recevaient des terres, des bourses, des lettres