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Aussi, ce qu’il en taille de l’ouvrage ! Il travaille comme deux. Plusieurs lui ont conseillé de vendre, mais à chaque fois, il devient rouge de colère. Je trouve qu’il a parfaitement raison, car, de mon côté, j’aimerais autant mourir que de voir des étrangers maîtres chez nous. Ce printemps, il voulait faire les semences seul, disant qu’il n’avait besoin de personne. Ce n’est que sur les instances de maman qu’il a fini par prendre un homme. Je l’aide de mon mieux, je herse même. Certains prétendent que c’est une honte, au temps où nous vivons, de voir une jeune fille se promener dans le labour du matin au soir. À mon avis il n’est pas dégradant de tenir en ordre et de faire pousser ses champs. Tout de même, j’étais bien fatiguée le soir ; quelquefois, je ne me sentais plus les jambes. Avec tout cet ouvrage, il m’a fallu négliger mes chères fleurs ; mais elles m’aiment tant qu’elles poussent quand même. Une couple de fois quand, avec les chevaux, j’étais de retour des champs, papa, tout sérieux, m’a regardée une « secousse », m’a mis la main sur l’épaule et m’a secouée un peu fort ; puis, se détournant, il s’est éloigné à grands pas. Que voulait-il dire ? Me reproche-t-il d’être une fille, ou est-ce sa façon de me remercier ?

Maman m’a dit une fois, qu’à mon départ, le père vieillirait de plusieurs années d’un seul coup. Ensuite, elle