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la terre ancestrale

dans la ville, mais à mon âge, et dans la position où je suis, j’ai vu bien des choses. Regarde toi-même : Tout jeune que tu sois, je suis certain que tu pourrais m’en nommer des jeunes filles qui sont allées là pour s’y perdre. Plusieurs en sont revenues, mais comment désabusées, avec quelles égratignures à la morale, et quelle santé. Quelques unes, heureusement, ont pu se refaire une conscience nouvelle au contact du sol natal. D’autres sont réapparues ici, mais de passage seulement, Dieu merci ! Celles-là sont perdues à jamais. Quelquefois, les parents sont la cause première de ces malheurs. Pour leur faire gagner leur vie, sans savoir si elles ne perdront pas leur âme, on les laisse aller en service à la ville. Y vivent-elles plus richement qu’ici ? Non, mais elles y souffrent plus. Elles ne gagnent pas assez pour satisfaire leur goût de toilettes. Ah les toilettes ! Aujourd’hui, le pauvre veut être vêtu comme le riche.

— Mais, monsieur le curé, je ne suis pas une fille.

— Crois-tu donc le danger moins grand pour les jeunes gens ? penses-tu qu’ils réussissent mieux ? Les ignorants croupissent dans la misère. Les garçons instruits qui, à la campagne, ne peuvent gagner leur vie par leur savoir, ont plus de raisons pour s’expatrier. Un petit nombre de ceux-là, sérieux et travailleurs, peuvent s’y créer