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APPENDICE. — N° VIII.

voient ici qu’un attribut unique, qu’ils rapportent, à tort selon moi, plutôt au vêtement qu’au corps, il est clair que l’idée principale est celle de l’éclat des membres, comme le prouve le témoignage du Vocabulaire pentaglotte et de la liste népalaise. En effet ces deux dernières autorités ne parlent pas du vêtement, ni dans cet article, ni dans aucun autre ; c’est là une addition propre au Lalita vistara, et qui tient au caractère plus développé de son exposition. L’addition d’ailleurs est tout à fait conforme aux idées des Buddhistes sur l’indécence de la nudité ; et il est aisé de comprendre comment un Religieux, en parlant pour la première fois des membres de l’homme supérieur qu’il décrit, n’ait pu se le figurer que couvert de vêtements. Je dis vêtements, quoique je reste encore dans le doute sur la lecture et la signification du mot que je transcris vastu, et que nos trois manuscrits lisent vamta ; pour trouver ici le sens de vêtement, il faut substituer vastra à ce terme obscur ; peut-être même résulte-t-il de la confusion des groupes tu et tra. On remarquera la variante de la liste singhalaise, qui substitue l’idée de pur à celle de brillant, à cause de l’analogie de signification qu’offrent les mots çutchi et vimala.

24. Mrïdugutrah ; V22 mrïdugâtrah ; H21 mrïdagâtratâ ; D61 kômalagattatâ. Ce caractère signifie : « Il a les membres doux. » Les Tibétains disent : « Son corps est beau ; » j’ignore la raison de cette divergence. Je vois d’autant moins de motifs pour modifier ici la signification primitive de mrïdu, que deux autres listes reproduisent également ce même mot, et que les Singhalais le remplacent par un synonyme, kômala, qui en détermine nettement le sens[1]. On sait d’ailleurs que le mérite d’une peau douce est très-recherché des Indiens ; la légende d’Açôka, qui n’était pas aimé de ses femmes à cause de la rudesse de sa peau, en offre une curieuse preuve[2].

25. Viçâlagâtrah ; V23 viçuddhagâtrah ; H22 viçuddhagâtratâ ; D27 visuddhagattatâ. Ce caractère signifie, « Il a les membres larges ; » mais ici les Tibétains s’éloignent considérablement de l’interprétation littérale, en traduisant : « Son corps est insensible à la crainte. » Auraient-ils eu sous les yeux, pour adopter ce sens, un mot comme viçârada ? c’est ce que je ne saurais dire : ce qui me paraît très-probable, c’est que nous n’avons pas là l’expression véritable et primitive de ce caractère. Je doute même que la leçon du Lalita vistara, telle que la donnent nos trois manuscrits, soit préférable à celle des trois autres listes, qui lisent viçuddha, « pur ou parfait. » De viçuddha à viçâla il n’y a pas assez loin pour qu’on ne puisse croire à quelque confusion de ces deux termes. Et si l’on admet que viçuddha ait exprimé plutôt l’idée de parfait, accompli, que celle de pur, on comprend sans peine comment de l’idée de perfection un Indien a passé à celle de largeur et de développement, idée qui dans l’Inde exprime un des attributs les moins contestés de la perfection physique. Ainsi s malgré l’apparente divergence de ces deux caractères, « Il a les membres larges, » et « Il a les membres parfaits, » je n’hésite pas à les placer dans le même article, et par suite à donner la préférence au second.

  1. Amarakocha, liv. III, chap. ii, st. 27, éd. Loiseleur.
  2. Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. 1, p. 360 et 365.