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CHAPITRE II.

étangs consacrés ; il faut les regarder comme celui qui ne dit pas de mensonges, comme celui qui dit la vérité ; il faut les regarder comme un monceau de pierres précieuses, comme le joyau qui donne tout ce qu’on désire, comme le roi de la loi, comme ce qui fait traverser le monde[1]. »

Quant à la figure elle-même qui sert de terme de comparaison pour exprimer la rareté d’un Buddha, « de même que la fleur du figuier Udumbara, » c’est une des plus fréquemment employées dans les livres buddhiques de toutes les écoles, et on la rencontre à chaque page de notre Lotus de la bonne loi. Elle est très-naturelle, car on sait qu’il faut l’œil exercé d’un botaniste pour reconnaître la fleur de la plupart des figuiers : le vulgaire ne voit de ces arbres que les fruits. Aussi Clough donne-t-il l’Udumbara comme un exemple des grands arbres rois des forêts, qui produisent des fruits sans donner de fleurs[2]. Ce figuier est, selon Wilson, le ficus glomerata. Le lecteur aura sans doute remarqué que parmi les choses rares énumérées dans les vers pâlis cités au commencement de cette note, on place la condition humaine. Cela vient de ce que cette condition, dans l’ordre des six existences dont il est si fréquemment question chez les Buddhistes, a sur toutes les autres l’avantage d’être celle qu’embrasse un Buddha avant d’entrer dans le Nirvâṇa. Cette croyance est une des plus anciennes du Buddhisme, et toutes les écoles s’accordent unanimement pour célébrer l’importance et le précieux caractère de la vie humaine. Le grand mongoliste I. J. Schmidt a exposé ce point de vue dans des remarques très-justes et fort bien exprimées ; rarement ce savant homme a rencontré une plus heureuse inspiration[3].

Elle n’est pas du domaine du raisonnement.] L’expression du texte que je traduis ainsi est atarkâvatchara, que la version tibétaine rend de la manière suivante, avec beaucoup de netteté : rtog-gehi spyod-yul ma yin-pa, « elle n’est pas un champ pour l’exercice du raisonnement. » Nous voyons dans ce composé un mot que je n’ai pas encore rencontré seul, mais qui fait partie du nom de quelques classes, de Dêvas, Kâmâvatchara, Rûpâvatchara, Dhyânâvatchara ; ce mot est avatchara, qui, selon qu’on en fera un substantif ou un adjectif, signifiera soit « lieu où l’on va, champ, province, district, » soit « qui va vers, se dirige vers, prend la direction de. » Les interprètes tibétains le prennent pour un adjectif signifiant « qui agit, » (spyod-pa), comme on peut le voir par la traduction qu’ils donnent des titres divins de Kâmâvatchara et Rûpâvatchara, « qui agit dans le désir, qui agit dans la forme[4]. » Ce sens certainement figuré, ne doit pas exclure le sens primitif de qui va vers ; en d’autres mots, avatchâra doit pouvoir reproduire les trois grandes significations principales de la racine tchar, « marcher, vivre, agir, » dont il dérive. Il semble qu’il se présente avec son sens physique dans le passage suivant du Lalita vistara, où il est dit que le Bôdhisattva étant descendu dans le sein de la femme qui devait être sa mère, se dirigea vers le côté droit et jamais vers le côté gauche : avakrântaḥ san dakchiṇâvatckarô ’bhûn na djâtu vâmâvatcharaḥ[5]. Cependant l’emploi de ce terme en tant que substantif ne serait pas

  1. Kâraṇḍa vyûha, f. 50 a et b.
  2. Abhidhân. ppadîp., l. III, ch. III, st. 125.
  3. Mém. de l’Acad., t. II, p. 36.
  4. Rgya tch’er rol pa, t. II, table alphab. aux mots Kâmâvatchara et Rûpâvatchara, p. xlviii et lviii.
  5. Lalita vistara, ch. vi, f. 34 a du man. A.