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NOTES.

devient capable de remplir la partie la plus élevée de sa mission, qui est d’enseigner la loi aux hommes afin de les sauver. Cette énumération n’est que sommaire, et elle ne se présente pas ici avec ce caractère dogmatique propre aux listes d’attributs et de qualités qui abondent dans le Buddhisme, et où chaque catégorie porte avec elle l’indication du nombre des objets qu’elle embrasse, comme les six ou dix perfections, les dix forces, les quatre portions de la puissance magique, etc. Simplement énoncées, comme elles le sont ici, sans détails et sans exemples, ces catégories sont d’ordinaire difficiles à entendre ; on ne voit pas toujours aisément la nuance qui les distingue les unes des autres, et pour être parfaitement comprises, elles auraient besoin d’être accompagnées de gloses plus étendues que celles que peut fournir la comparaison des passages parallèles assez bornés qui sont en ce moment à ma disposition. Je crois cependant indispensable d’en reproduire ici les termes, tels qu’ils sont donnés par le texte, d’abord pour justifier celles de mes interprétations qui pourraient offrir quelque incertitude, puis pour corriger les autres, enfin, pour marquer d’avance celles de ces catégories qui devant reparaître ailleurs et dans des passages isolés, deviendront alors l’objet d’une note spéciale. Il est de plus indispensable d’indiquer le genre de service que rend ici la version tibétaine du Saddharma puṇḍarîka, laquelle nous fournit pour des mots souvent obscurs une interprétation ancienne et parfaitement authentique. On verra que l’utilité de cette version consiste principalement en ce qu’elle isole les termes qui doivent être distingués les uns des autres, et tranche ainsi nettement tous les doutes que fait naître leur situation indécise au milieu d’un vaste et interminable composé.

Ce que je traduis par « la vue d’une science absolue et irrésistible » est, dans le texte, asag̃gâpratihata djñânadarçana. Je ne crois pas qu’il puisse exister aucune incertitude sur la valeur générale de cet attribut ; il en est souvent parlé dans les textes du Nord, et je ne doute pas qu’on ne doive retrouver dans un recueil aussi étendu que l’Abhidharmakôça vyâkhyâ, des gloses expliquant comment la science du Buddha est détachée [asag̃ga], et irrésistible [apratihata]. Le Dharma pradîpikâ singhalais nous fournit déjà un éclaircissement de quelque valeur pour l’épithète de apratihata dans le texte pâli suivant : Atîtê Buddhassa bhagavatô appaṭihatam̃ ñânam̃ anâgatê appatihatam̃ ñânam̃ patchtchuppannê appaṭihatam̃ ñânam̃. « La science du Bienheureux Buddha ne rencontre pas d’obstacle dans le passé ; elle n’en rencontre pas dans l’avenir, elle n’en rencontre pas dans le présent[1]. » Un autre texte qui suit celui que je viens de citer, exprime ainsi l’immensité de cette science : « Aussi grand est l’objet à connaître, aussi grande est la science ; aussi grande est la science, aussi grand est l’objet à connaître. La science a pour limite l’objet à connaître ; l’objet à connaître a pour limite la science. Au delà de l’objet à connaître, il n’y a pas d’application de la science ; au delà de la science, il n’y a pas de voie pour l’objet à connaître ; ces deux conditions, la science et l’objet à connaître, se contiennent mutuellement dans les mêmes limites. » Et ce rapport de la science à l’objet à connaître est exprimé par cette comparaison : « De même que les deux parties formant une boîte fermée, vues ensemble, celle de dessous ne dépasse pas celle de dessus, pas plus que celle

  1. Dharma pradîpikâ, fol. 14 b.