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CHAPITRE II.

est âçtcharyâdbhutadharmasamanvâgatâḥ ; ce composé ne peut, si je ne me trompe, donner lieu qu’à ces deux interprétations, qui reviennent dans le fond à peu près au même : « les Tathâgatas sont doués de lois merveilleuses, » ce qui est une allusion à leur science supérieure, ou « les Tathâgatas sont doués de conditions (de caractères) qui les rendent un objet d’étonnement, qui en font des merveilles. » C’est, je crois, avec cette dernière acception que cette expression est employée par le Lalita vistara, lorsque Ânanda, frappé du récit que Çâkya vient de faire de la naissance du Bôdhisattva, s’écrie : Sarvasattvânâm Bhagavam̃stathâgata âçtcharyabhûtô ’bhût ; bôdhisattva êvâdbhutadharmasamanvâgataçtcha kaḥ punarvâda êvam̃ hyanuttarâm̃ samyaksam̃bôdhim abhisam̃buddhaḥ. « Le Tathâgata, ô Bhagavat, a été merveilleux pour tous les êtres, (ou parmi tous les êtres ;) comme simple Bôdhisattva il fut doué de conditions merveilleuses, à plus forte raison depuis qu’il est ainsi « arrivé à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli[1]. » Ânanda veut exprimer à quel point le Tathâgata lui paraît merveilleux ; et pour le dire avec plus de force, il expose que quand cet être n’était encore que Bôdhisattva (Bôdhisattva êva), il était déjà doué de lois, de conditions, ou de caractères (car dharma a toutes ces significations) dignes d’étonnement. Je n’ai pas besoin d’insister pour montrer combien les Tibétains se sont éloignés du sens véritable, quand ils ont traduit kaḥ punar vâdaḥ par « que demander de plus ? » Ils ont également méconnu le sens de Bôdhisattva êva en traduisant, « le Bôdhisattva lui-même ; » c’est « Bôdhisattva même, n’étant que Bôdhisattva, » qu’il fallait dire. Il y a encore dans ce texte un mot particulier au sanscrit buddhique, et qui se représente dans les livres du Sud sous une forme populaire ; c’est le participe samanvâgata, qui signifie doué de. Il est aussi fréquemment employé en pâli sous la forme de samannâgata, par suite de l’assimilation du groupe nva en nna. On en trouvera un exemple dans un texte des Djâtakas pâlis, cité par Spiegel, où l’éditeur écrit à tort samantâgata[2] ; il est juste de dire que rien n’est aussi difficile à distinguer l’un de l’autre que le t et le n de l’écriture singhalaise, celle des manuscrits sur lesquels a travaillé Spiegel.

Le langage énigmatique des Tathâgatas.] Le texte se sert du terme sandhâbhâchyam, dont les manuscrits lisent encore la première partie sandhyâ. Le sens que j’ai adopté m’est fourni par la version tibétaine qui est ainsi conçue : ldem-por dgongs-te-bchad-pa-ni, et qui signifie, si je ne me trompe, « l’explication de la pensée exprimée énigmatiquement. » Je suis ici l’autorité du Dictionnaire de Csoma de Cörös, qui rend ldem-po par énigme, ironie, parabole. Cependant le Dictionnaire de Schröter entend ce même mot comme s’il signifiait juste, droit, direct, en anglais plain. Je n’ai pas le moyen d’expliquer cette divergence d’opinions, et je m’en tiens à l’interprétation donnée par Csoma, laquelle s’accorde mieux avec le sens général des passages où cette expression se trouve.

La vue d’une science absolue et irrésistible.] Ce passage renferme une énumération sommaire des attributs intellectuels, moraux et physiques, au moyen desquels un Buddha

  1. Lalita vistara, chap. vii, fol. 50 b de mon man. A ; Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 92.
  2. Anecdota pâlica, p. 36 et 72.