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NOTES.

la période de renaissance avec des êtres qui débutent par une existence dont la durée est également incalculable, tout cela est contradictoire à la tentative de limiter ces périodes par des nombres définis. L’application de chiffres précis à ces conceptions fantastiques où l’on recherche l’indéfini en durée, donnerait lieu ici aux mêmes objections que celles qui ont été adressées par I. J. Schmidt aux calculs d’Abel-Rémusat.

Il n’est pas facile, quant à présent, de déterminer quelle est, dans le système des Kalpas buddhiques, la part des idées empruntées aux Brâhmanes et celle des combinaisons propres aux disciples de Çâkya. Lassen a conjecturé quelque part que la théorie des périodes brâhmaniques, — qui sont divisées à l’instar de la vie humaine en journées et en nuits, avait dû inspirer aux Buddhistes l’idée de leurs Kalpas de décroissance, de destruction et de renaissance. Mais quand il détermine la durée du Kalpa complet au moyen de chiffres précis, le composant de mille Mahâyugas ou grandes périodes de quatre âges, ayant chacun 4,320,000, c’est-à-dire en somme 4,320,000,000, il va peut-être un peu loin, car il attribue ainsi aux Buddhistes l’usage de ce calcul qui paraît propre aux Brâhmanes[1]. On voit, en effet, que ce comput est en désaccord avec la manière dont les Buddhistes du Sud se représentent l’accroissement et la diminution de la vie humaine que j’exposais tout à l’heure. Quelque chiffre que l’on place sous la dénomination vague d’Asam̃khyêya (et nous verrons plus bas que les opinions sont très-partagées sur ce point), il n’en est aucun qui ne dépasse de beaucoup la somme de quatre billions trois cent vingt millions d’années, que le calcul rapporté par Lassen assigne à un Kalpa complet.

Il est permis d’espérer qu’une connaissance plus approfondie des textes buddhiques donnera le moyen de résoudre ces difficultés ; aussi me borné-je, pour le moment, à une seule réflexion : c’est qu’ici, comme dans ce qui touche aux origines du Buddhisme, il est de la dernière importance de distinguer avec soin les diverses époques de développement. Ainsi il est très-probable que quand Çâkya et ses premiers disciples employaient le terme de Kalpa, ils ne se faisaient pas, des périodes de création que ce terme exprime, une autre idée que celle qu’en avaient les Brâhmanes eux-mêmes. Pour ces temps donc, Lassen, qui remarque justement que le calcul des Yugas donné par Wilson[2] doit être le plus ancien, est parfaitement dans la vérité historique. Mais à mesure que le Buddhisme se développa, il dut donner son empreinte particulière aux notions qu’il avait empruntées aux Brâhmanes ; et il n’est pas étonnant qu’une théorie qui tenait une si grande place dans la conception que les Indiens se faisaient du passé, ait subi dans le cours des temps des modifications plus ou moins considérables.

Le terme même d’Asam̃khyêya, « le nombre incalculable, » qui est un des éléments essentiels d’un Kalpa, suffit pour faire naître cette supposition. J’ai peine à croire que quand Çâkyamuni disait : « Il y a un Asam̃khyêya d’années ou de périodes, » il voulût exprimer une autre idée que celle-ci : « Il y a un nombre incalculable d’années ou de périodes. » Il fallait même, pour que ces paroles conservassent le sens qu’il avait l’intention de leur donner, que le mot Asâm̃khyêya continuât d’être pris par ses auditeurs dans son acception propre d’incalculable. Le texte du Dharma pradîpikâ que je citais plus haut, peut,

  1. Indische Alterthumsk. t. II, p. 227, note 1.
  2. Wilson, Vishṇu purâṇa, p. 24, note.