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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

d’autre source de nos connaissances que les sens, et convaincus que les sens ne donnent que des notions de qualités isolées les unes des autres, il leur fallait un organe qui saisît l’individu, sujet unique de ces qualités multiples, et qui éprouvât en quelque sorte l’impression du devoir, ou du bien et du mal.

Ce qui vient après, dans le texte traduit par Schmidt, est un résumé des diverses manières dont les sens nous donnent les impressions. Il y a, dit ce texte, un savoir qui vient par les yeux, et ainsi des autres sens, jusques et y compris l’organe interne, que les Mongols continuent à traduire par la volonté ; dans ce cas l’homme est passif, la connaissance s’offrant en quelque sorte à lui sans qu’il la cherche. Il y a, dit encore ce texte, une action de saisir ou de s’approprier la connaissance par l’œil, et ainsi des autres sens ; dans ce second cas l’homme est actif. Enfin, il y a un sentiment, une sensation ou un ressentir, si je puis m’exprimer ainsi, qui résulte de cette action de saisir ou de s’approprier la connaissance par l’œil et par chacun des autres sens ; dans ce dernier cas l’homme est passif et actif tout ensemble.

Die sechs Grundstofte (Elemente) sind ihrem Begriffe nach : die Erde, das Wasser, das Feuer, die Luft, der materielle Himmel, das Wissen (Erkennen). »

Cette énumération des six éléments est remarquable sous plus d’un rapport. Premièrement, elle résume tout ce que les Buddhistes savent de la nature, et elle est, quant à ses bases, la même que celle des Brâhmanes. Avec cette énumération, les Buddhistes peuvent se passer de parler de la matière, notion abstraite de laquelle je ne crois pas qu’ils se soient occupés. Au delà des quatre éléments généralement admis dans l’Inde, la terre, l’eau, le feu, l’air, elle en compte avec les Brâhmanes un cinquième qui est l’éther, élément dont l’existence est contestée par quelques écoles buddhiques. J’ignore comment il se peut faire que les Mongols traduisent le terme original qui désigne cet élément par « le ciel matériel, » à moins que cette traduction ne soit une interprétation trop stricte du Nam-mkhah tibétain. Ce qu’il y a de positif, c’est que le mot sanscrit Âkâça signifie chez les Buddhistes l’éther ou l’espace, et plus souvent même l’espace que l’éther.

Quant au sixième élément, qui est, suivant l’énumération des Mongols, celui du connaître ou de la connaissance, il se nomme en sanscrit Vidjnâna, mot qui a en effet la signification que lui donne Schmidt. C’est là une pure invention des Buddhistes, et je crois pouvoir l’avancer, une invention assez moderne. Il n’existe, à ma connaissance, aucune trace de cet élément dans les Sûtras anciens, où l’énumération que l’on rencontre le plus souvent se borne à ces quatre termes : la terre l’eau, le feu, l’air, éléments qui sont classés dans l’ordre successif de leur immatérialité apparente. La Pradjñâ pâramitâ ajoute un élément moins matériel encore,