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DU BUDDHISME INDIEN.

pas une chose, et la forme une autre chose. La forme même est l’illusion, et l’illusion même est la forme. Non, Bhagavat, l’illusion n’est pas une chose, et la sensation une autre, l’idée une autre. La sensation, l’idée et les concepts mêmes, ô Bhagavat, sont l’illusion ; l’illusion même est la sensation, l’idée et les concepts. Non, Bhagavat, l’illusion n’est pas une chose, et la connaissance une autre chose. La connaissance même, ô Bhagavat, est l’illusion ; l’illusion même, ô Bhagavat, est la connaissance. Bhagavat dit : Ô Subhûti, est-ce dans les cinq attributs, causes de la conception[1], qu’existe l’idée, la connaissance, l’admission, la notion de ce qu’on appelle Bôdhisattva ?

Cela dit, Subhûti parla ainsi à Bhagavat : Oui, sans doute, Bhagavat ; oui, sans doute, Sugata. C’est pour cela, ô Bhagavat, que le Bôdhisattva qui apprend la Perfection de la sagesse doit apprendre l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, comme s’il était un homme produit par une illusion magique. Pourquoi cela ? C’est qu’il faut tenir, ô Bhagavat, pour l’homme produit par une illusion magique, ce qu’on appelle les cinq attributs causes de la conception. Et pourquoi cela ? Parce que Bhagavat a dit que la forme était semblable à une illusion. Or la forme, c’est la réunion des cinq sens, et celle des cinq attri-

  1. Ces cinq attributs sont ce qu’on appelle les Skandhas ou agrégats, savoir : la forme, la sensation, l’idée, les concepts et la connaissance, sur lesquels je reviendrai plus bas. Je montrerai, dans mon analyse des termes métaphysiques du Buddhisme, que les cinq Skandhas embrassent les divers accidents du fait de la connaissance, conçu à la manière des Buddhistes, depuis ce qui lui donne occasion, la forme, jusqu’au fait de la connaissance même. Je conviens dès à présent que le terme attribut est fort imparfait, et je dirai plus bas comment celui de moyen, appui, paraît mieux répondre à une des idées que les Buddhistes se font du mot Skandha. Cependant, considérés d’une manière générale, les cinq Skandhas sont des attributs intellectuels du sujet qui se complète avec les cinq sens et les six éléments matériels, ainsi que le prouve un passage capital du Pûrṇa avadâna. (Ci-dessus, sect. III, p. 243.) Les Skandhas constituent dans l’homme ce que j’appellerai le domaine de la connaissance ou de l’esprit, et c’est pour cela que je les considère comme des attributs intellectuels. Mais la difficulté n’est pas là tout entière ; le mot Skandha est employé par notre texte en composition avec celui d’upâdâna, de cette manière Upâdâna Skandha, et alors il faut déterminer : 1° le rapport de ces deux termes entre eux, 2° la signification de celui qui est placé le premier, c’est-à-dire l’upâdâna. Quant à la première question, j’en trouve deux solutions dans le commentaire de l’Abhidharma kôça : « On appelle Upâdâna Skandhas les Skandhas ou attributs qui sont produits par l’Upâdâna (la caption ou la conception). C’est un composé de l’espèce de ceux dans lesquels le terme du milieu est supprimé, de cette manière : « Upâdâna [sam̃bhûtâḥ] skandhâḥ, c’est-à-dire les attributs produits par la conception. C’est « comme quand on appelle feu de gazon un feu produit par du gazon ; feu de paille, un feu produit par de la paille. » (Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 18 b.) Voici maintenant la seconde solution, celle que préfère le commentateur : Upâdâna skandhâḥ désigne les attributs qui sont l’origine ou la cause de la caption ou de la conception, comme quand on dit : un arbre à fleurs et à fruits. « L’arbre qui est l’origine ou la cause des fleurs et des fruits se nomme arbre à fleurs et à fruits. » (Ibid., f. 18 b.) Il ne résulte aucunement de là, selon moi, que Skandha signifie cause ; l’idée de cause est au contraire sous-entendue entre les deux idées exprimées par les deux termes Skandha et upâdâna ; c’est comme si l’on disait : les Skandhas ou attributs qui servent ou qui aboutissent à l’Upâdâna. Ce dernier terme sera expliqué plus bas.