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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

En second lieu, si les livres dont se compose l’Abhidharma sont des recueils de principes, d’axiomes, de thèses, comme on voudra les nommer, empruntés à des traités qui ne sont pas exclusivement philosophiques, la place de l’Abhidharma est marquée immédiatement après ces traités. Mais si, d’un autre côté, les livres de l’Abhidharma forment un ensemble à peu près aussi considérable que les traités dont ils sont extraits, il faut que ces livres aient été bien amplement développés, soit que le développement n’ait fait que reproduire sous des proportions plus vastes le fonds primitif, soit qu’il ait été allié à des sujets nouveaux. Il n’est pas supposable que cette identité presque complète de volume entre la Pradjñâ pâramitâ et la classe des Sûtras soit le résultat du développement seul, car la métaphysique de Çâkya, en prenant une forme scientifique, a dû nécessairement se compléter. Je ne crains cependant pas d’affirmer que le développement (et notre langue n’a pas de mot pour exprimer l’ampleur de ce développement) a eu de beaucoup la plus grande part dans l’identité que je viens de signaler. J’ai la conviction que tout lecteur qui aura le courage de parcourir un ou deux volumes de la Pradjñâ pâramitâ en cent mille articles, et de comparer les résultats de sa lecture avec quelques portions des Sûtras ou des légendes que je regarde comme les plus anciennes, reconnaîtra qu’à part les conséquences qu’elle tire de principes antérieurement énoncés, la rédaction de la Pradjñâ n’ajoute souvent que des mots à celle des Sûtras.

Ces observations, qui m’ont paru des préliminaires indispensables pour la critique de ces livres, nous ramènent, comme on le voit, à l’étude des Sûtras et des Avadânas envisagés sous le point de vue de la métaphysique. Je vais donc extraire de ces traités un passage propre à établir que le commentateur souvent cité de l’Abhidharma kôça a eu raison de faire remonter jusqu’à ces livres l’origine de l’Abhidharma, et par suite de la Pradjñâ pâramitâ qui dans la collection népâlaise représente cette partie des écritures buddhiques.

Le morceau que je citerai est emprunté à l’Avadâna çataka ; c’est une conversation entre Çâkya et un Brâhmane : l’objet en est le détachement auquel on arrive par la considération que la sensation est passagère. Là, ainsi qu’on va le voir, la métaphysique et la morale sont intimement unies, et à peu près inséparables. Ce morceau nous donne de plus la méthode de Çâkya, et met en action ce procédé de sa dialectique qu’il applique à toutes les thèses, l’affirmation, la négation et l’indifférence.

« Le bienheureux Buddha[1] se trouvait avec l’Assemblée de ses Auditeurs dans la ville de Râdjagrĭha, dans le Bois des bambous, au lieu nommé Karaṇḍaka

  1. Même préambule que pour la légende traduite plus haut, sect. II, p. 79.