Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/442

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Le titre du Vâibhâchika n’est pas moins familier à notre auteur, et il le définit ainsi : « Ceux qui se jouent, ou qui marchent dans l’alternative, » ou encore « qui connaissent l’alternative[1]. » Par alternative il faut entendre sans doute l’emploi du dilemme, procédé dont il se peut que cette école ait fait particulièrement usage pour renverser les positions de ses adversaires. C’est là l’école que l’auteur du commentaire sur l’Abhidharma cite le plus souvent. Il lui attribue la croyance à l’existence de l’éther, ou de l’espace, que toutes les écoles buddhiques ne reconnaissent pas également. « Les Vâibhâchikas, dit-il, se fondent sur ce texte qui émane de l’enseignement de Bhagavat : Sur quoi repose la terre, ô Gâutama ? demande Kâçyapa. — La terre, ô Brâhmane, repose sur le cercle de l’eau. — Et le cercle de l’eau, Gâutama, sur quoi repose-t-il ? — Il repose sur le vent. — Et le vent, Gâutama, sur quoi repose-t-il ? — Il repose sur l’éther. — Et l’éther, Gâutama, sur quoi repose-t-il ? — Tu vas trop loin, ô grand Brâhmane, tu vas trop loin. L’éther, ô Brâhmane, n’a rien sur quoi il repose, il n’a pas de support[2]. »

Le commentaire de l’Abhidharma cite également les Yôgâtchâras, dans ce passage : « En réunissant ensemble les réceptacles (âçraya), les choses reçues (âçrita) et les supports (âlambana), qui sont chacun composés de six termes, on a dix-huit termes qu’on appelle Dhâtus ou contenants. La collection des six réceptacles, ce sont les organes de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, du toucher, et le Manas (ou l’organe du cœur), qui est le dernier. La collection des six choses reçues, c’est la connaissance produite par la vue et par les autres sens jusqu’au Manas inclusivement. La collection des six supports, ce sont la forme et les autres attributs sensibles jusqu’au Dharma (la Loi ou l’Être) inclusivement. Mais, dans l’opinion des Yôgâtchâras, il y a un Manôdhâtu, distinct des six connaissances[3], » et sans doute perçu par le Manas ou le cœur.

Enfin notre auteur indique l’existence des Madhyamikas[4], circonstance qui a de l’intérêt pour nous, en ce que l’école des Madhyamikas est celle des quatre grandes sectes énumérées par lui, sur laquelle nous possédons le plus de notions positives et de détails ayant un véritable caractère historique. Csoma nous apprend qu’elle doit son origine à un philosophe célèbre, Nâgârdjuna, qui vécut quatre cents ans après Çâkyamuni, et qu’elle se fonde tout entière sur la Pradjñâ pâramitâ, dont elle donne (toujours d’après Csoma) une interprétation

  1. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 10 a, man. Soc. Asiat.
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 13 a, man. Soc. Asiat. Tous les lecteurs auxquels sont familiers les procédés philosophiques de l’ancien Brâhmanisme remarqueront l’analogie frappante de cette exposition avec celle de quelques Upanichads.
  3. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 32 b, man. Soc. Asiat., f. 28 b de mon manuscrit.
  4. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 477 a de mon manuscrit.